Général Burkhard : La directive européenne sur le temps de travail est un « péril mortel pour notre armée »

La semaine passée, dans un avis concernant la directive 2003/88 relative au temps de travail, la Cour de justice de l’Union européenne [CJUE] a rendu un avis de nature à porter atteinte à la notion de service « en tout temps et en tout lieu », qui est l’un des fondements de du statut général des militaires en France.

Dans le détail, la CJUE a fait une distinction entre les activités opérationnelles et celles relevant des « services d’administration, d’entretien, de réparation, de santé, de maintien de l’ordre ou de poursuite des infractions », pour lesquelles la directive 2003/88 doit s’appliquer. En clair, un militaire doit être assujetti aux dispositions prévues par ce texte comme n’importe quel autre salarié, sauf quand il est en opération, à l’entraînement ou en formation.

Contestant cette vision, la France fit valoir que les forces armées ne sauraient être concernées par cette directive en vertu de l’article 4.2 du traité de l’UE, lequel précise que « l’Union respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale » et que, « en particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ». Tel n’aura donc pas été l’avis de la CJUE…

« Cette décision de la plus haute juridiction européenne est dans son principe contraire aux intérêts nationaux les plus élémentaires. Elle touche au cœur de la souveraineté et de la sécurité de la France », a par la suite déploré l’ex-Premier ministre Édouard Philippe, dans une tribune publiée par le quotidien Le Monde. « L’armée française est une chance pour l’Europe, l’affaiblir, c’est jouer avec notre sécurité collective », a-t-il insisté.

L’avis de la CJUE a également critiqué par le député [LREM] – et ancien militaire – Jean-Michel Jacques dans les colonnes de L’Opinion. « En estimant que l’ensemble des forces armées du continent doivent appliquer la directive européenne sur le temps de travail, la Cour de justice de l’Union européenne touche à quelque chose qui la dépasse : la souveraineté de la France et la singularité du militaire français », a-t-il estimé. Un avis partagé par d’autres parlementaires, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.

Alors qu’il était encore le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT] et que la CJUE ne s’était pas encore prononcée, le général Thierry Burkhard, désormais chef d’état-major des armées [CEMA] n’y est pas allé le dos de la cuillère pour dénoncer cette directive sur le temps de travail, lors d’un audition à l’Assemblé nationale, le 23 juin dernier.

« La directive européenne concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail est un péril mortel pour notre armée », a en effet estimé le général Burkhard. « Il ne s’agit pas de savoir combien il faudrait d’équivalents temps plein (ETP) en plus : c’est surtout une question d’état d’esprit. L’un des marqueurs les plus forts de la singularité militaire, à savoir le rapport au temps, disparaîtrait. Ce marqueur signifie qu’on s’arrête quand on a accompli la mission, ou quand le chef dit de s’arrêter : c’est fondamental », a-t-il ensuite développé.

« Ceux qui ont rendu visite à des armées étrangères sur des théâtres d’opérations ont pu constater qu’il y avait des cultures opérationnelles différentes. Certains soldats défendront leur pays le jour où il sera attaqué, mais ils n’ont pas la même disponibilité et la notion de l’engagement est très différente », a ensuite souligné l’ex-CEMAT.

Aussi, il s’est dit « inquiet » et « assez surpris » de voir que « l’on se se retrouve au pied du mur aujourd’hui : nous aurions dû stopper cela beaucoup plus tôt. Nous sommes désormais à la merci d’une décision qui risque de nous faire basculer du mauvais côté. C’est très grave ».

D’autant plus que, a insisté le général Burkhard, « le soldat doit comprendre que la disponibilité en tout temps et en tout lieu est une vraie contrainte ». Et cela, dès sa formation initiale. Quant aux chefs, ils « doivent aussi comprendre qu’ils doivent gérer le rapport au temps : cela ne signifie pas qu’on travaille 24 heures sur 24 – cela ne marche pas – mais que le chef doit être capable de dire ‘tel jour on aura quartier libre’, non pas par compensation – en France, la compensation devient un droit – mais parce qu’il est responsable de la manière dont il prépare ses hommes au combat et les amène en opération ».

Pour le moment, le ministère des Armées dit étudier de près « la portée et les implications de cette décision ». Ce qu’a réaffirmé Geneviève Darrieussecq, la ministre déléguée, chargée de la mémoire et des anciens combattants, au Sénat.

Lors de la même séance à Haute Assemblée, et en réponse à une question du sénateur [LR] Cédric Perrin, Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, a indiqué que le gouvernement répondrait « au droit par le droit ». Et d’ajouter : « Nous prendrons les initiatives qui s’imposent sans nous dérober face à nos responsabilités : assurer la sécurité des Français, prendre acte des décisions de la Cour de justice, et enfin agir pour faire évoluer le droit de l’Union si notre sécurité l’exige ».

Photo : EMA

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