Temps de travail des militaires : La Cour de justice de l’UE donne tort à la France

Lors de son discours prononcé à l’Hôtel de Brienne, le 13 juillet, le président Macron a été clair au sujet du statut – et donc de la singularité – des militaires, en déplorant que « l’air du temps, parfois, peut conduire certains à penser que la banalisation est une bonne chose et que quand d’autre suivent cette voie, il faudrait mécaniquement la suivre ».

« Je suis un ardent Européen et je crois à la voie européenne quand je la comprends et que je pense qu’elle est bonne pour le destin national » mais « lorsqu’elle nous conduit à renier ce qui nous défend, ce qui nous protège, une militarité à laquelle nous tenons au-dessus de tout, nous n’y cédons pas », a dit le chef de l’État, dans une allusion à la directive européenne 2003/88 relative au temps de travail.

Et celui-ci d’ajouter : « Nous avons défendu notre statut, nous avons mené des batailles et des victoires importantes et nous irons au bout. Un statut vivant dont les principes fondamentaux doivent être rappelés, valorisés, défendus au niveau national comme en Europe. Nous tiendrons bon jusqu’au bout ».

Deux jours plus tard, la Cour de justice de l’Union européenne [CJUE] a justement un arrêt sur l’application de cette directive sur le temps de travail, après avoir été appelée à se prononcer sur un litige opposant un sous-officier slovène à sa hiérarchie, ce dernier estimant qu’une rémunération aurait dû lui être versée « en contrepartie de l’activité de garde d’installations militaires qu’il a régulièrement effectuée au cours de son service ».

Aussi, la question était donc de savoir si les militaires des États membres de l’UE relevaient ou non du champ d’application de la directive… et si leur temps de travail devait être « comptabilisé, aménagé et limité conformément aux prescriptions de cette directive, y compris lors d’une telle activité de garde ». De quoi remettre en cause la notion de service « en tout temps et en tout lieu », qui est l’un des fondements du statut général des militaires en France.

Dans les conclusions qu’il a présentées le 29 janvier dernier, l’avocat général de la CJUE, Henrik Saugmandsgaard Øe, s’est aligné sur la conception défendue par l’Allemagne, laquelle consiste à faire la distinction entre le « service courant » et les activités « spécifiques », c’est à dire opérationnelle. Pour autant, la France, mais aussi l’Espagne, n’ont pas baissé leur pavillon.

Ainsi, en avril, le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire [HCECM] a publié un avis pour réfuter les arguments de l’avocat général de la CJUE, notamment en s’appuyant sur l’article 4.2 du Traité de l’UE, lequel précise que « l’Union respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale » et que, « en particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ».

En outre, le HCECM a également mis en garde sur les conséquences que pourrait avoir l’application de cette directive sur les forces armées. Et d’y voir une possible atteinte à leur cohésion ainsi qu’une baisse de leur capacité et de leur efficacité opérationnelle en raison « du contingentement de la disponibilité des militaires et des rigidités impliquées par sa mise en œuvre ».

Finalement, dans l’arrêt C-742-19 qu’elle a rendu le 15 juillet, la CJUE a estimé qu’il « ne saurait être considéré que l’intégralité des activités exercées par les militaires présentent des particularités telles que celles-ci s’opposent à toute planification du temps de travail respectueuse des exigences imposées par la directive 2003/88 ».

Qui plus est, ajoute-t-elle, « certaines activités susceptibles d’être exercées par les membres des forces armées, comme celles liées notamment à des services d’administration, d’entretien, de réparation, de santé, de maintien de l’ordre ou de poursuite des infractions, ne sauraient être exclues, dans leur intégralité, du champ d’application de la directive 2003/88 », dans la mesure où il « est constant que de telles activités relèvent, en principe, du champ d’application de cette directive lorsqu’elles sont exercées, dans des conditions similaires, par des travailleurs de la fonction publique n’ayant pas le statut de militaire ».

En revanche, pour la CJUE, les activités opérationnelles ainsi que celles liées à la formation n’entrent pas dans le cadre de la directive. Directive qui est « est tout aussi inapplicable aux activités militaires qui sont à ce point particulières qu’elles ne se prêtent pas à un système de rotation des effectifs permettant d’assurer le respect des exigences de cette directive », précise-t-elle. Idem « lorsqu’il apparaît que l’activité militaire est exécutée dans le cadre d’événements exceptionnels ».

« Enfin, il y a lieu de préciser que, même lorsque des militaires exercent des activités qui relèvent pleinement du champ d’application de la directive 2003/88, celle-ci contient, contrairement à ce que soutient le gouvernement français, des exceptions aux droits qu’elle instaure, susceptibles d’être invoquées par les États membres à l’égard de ces militaires », fait aussi valoir la CJUE.

Cet arrêt, contre lequel aucun recours n’est possible, ouvre donc une brèche dans le statut général des militaires en remettant en cause la notion de service « en tout temps et en tout lieu ». Et le ministère des Armées est désormais à la merci d’une plainte venant de ses propres rangs pour faire appliquer la directive en question. En cas de litige, le Conseil d’État aurait alors à se prononcer.

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