Pour Mme Parly, le choix de la Suisse en faveur du F-35A fait l’impasse sur la « réalité de notre coopération militaire »

Après avoir fait part de son intention d’acquérir 36 avions de 5e génération F-35A auprès du constructeur américain Lockheed-Martin dans le cadre du programme Air 2030, le Conseil fédéral suisse devra probablement d’autres arguments que ceux qu’il a jusqu’à présent avancés pour convaincre de la pertinence de son choix. Car, pour le moment, nombreux sont les sceptiques… notamment parmi les parlementaires, quel que soit leur bord politique, les médias et, in fine, les citoyens.

Pour beaucoup, le F-35A n’est pas l’avion le plus adapté pour les besoins des forces aériennes suisses, lesquelles ont la mission principale d’assurer la protection de l’espace aérien. Or, l’appareil américain a surtout été conçu pour mener des frappes dans la profondeur grâce à sa furtivité. Qui plus est, outre-Atlantique, il suscite de nombreuses réserves, y compris au sein du Pentagone et du Congrès, notamment au sujet de ses coûts d’exploitation et de ses lacunes [871 restent encore à être comblées selon un récent rapport officiel].

Co-fondateur de l’US Navy Fighter Weapons School [Topgun, ndlr], le capitaine de vaisseau Dan Pedersen n’a pas ménagé ses critiques à l’endroit de cet avion, dans son livre « Topgun, la véritable histoire », allant jusqu’à le comparer à un « pingouin » parce qu’il « vole de la même façon ». Et de l’assimiler une imprimante peu chère à l’achat mais qui finit par coûter une fortune en cartouches d’encre….

Lockheed-Martin présente cet avion « comme un appareil d’alerte avancée transformationnel. Mais il ne dit rien sur ce qui est de remporter un combat aérien. C’est peut-être là que le bât blesse, car les pilotes qui affichent beaucoup d’expérience aux commandes du ‘pingouin’ disent que ce n’est pas un chasseur », écrit par ailleurs Dan Pedersern.

Quoi qu’il en soit, le choix du F-35A devra être approuvé par le Parlement suisse. Là, la « bataille n’est pas encore gagnée » souligne le quotidien Le Temps. « La gauche est fortement opposée au choix des F-35. Le Centre sera lui au garde-à-vous, mais du côté des vert’libéraux, du PLR et même de certains UDC, cette option ne fait pas l’unanimité », explique-t-il. En outre, si cet obstacle est franchi, il faudra probablement en franchir un second, sous la forme d’une votation qu’entendent faire organiser des formations de gauche fermement opposés à l’achat d’un avion américain, quel qu’il soit.

Puis, si ce choix est finalement confirmé par les électeurs, il faudra négocier le contrat avec Lockheed-Martin. Et ce ne sera peut-être la partie la plus facile. Pour s’imposer face à ses concurrents [Dassault Aviation avec le Rafale, Airbus avec l’Eurofighter Typhoon et Boeing avec le F/A-18 Super Hornet], l’industriel a soumis une offre « imbattable » puisqu’il est question d’un prix d’achat très inférieur aux 6 milliards de francs suisses prévus pour le programme Air 2030. C’est ce qu’il a lui permis de présenter le « meilleur rapport coûts/bénéfices ». Et cela, alors que la version Block 4 du F-35A, celle qui a été proposée, est en retard, en plus d’accumuler les surcoûts.

Déjà, Berne devra investir une somme conséquente pour adapter les infrastructures de ses bases aériennes… Pour la Belgique, la facture s’élevera ainsi à 300 millions d’euros pour 34 F-35A.

En attendant, si Dassault Aviation n’a pas commenté la décision du Conseil fédéral, Boeing s’est dit déçu. « Nous pensions que le F/A-18 Block III était le bon choix pour la Suisse. […] Nous attendons avec impatience un débriefing complet pour mieux comprendre la décision », a-t-il réagi.

De son côté Airbus a affiché la même position. Rappelant avoir soumis à la Suisse une « offre sur mesure avec un avion parfaitement adapté au service de police aérienne et une offre économique crédible qui est la seule à prévoir l’assemblage final complet de l’avion en Suisse », le groupe européen a fait valoir que les arguments avancés en faveur du F-35A, « notamment en ce qui concerne les coûts et les aspects opérationnels, ne sont ni conformes à l’expérience pratique des autres nations utilisatrices ni avec nos analyses opérationnelles ».

Enfin, en France, seule la ministre des Armées, Florence Parly, a réagi officiellement. Et d’une manière assez sèche, en parlant de « décisions souveraines qui traduisent un choix au profit de matériels non européens ». En outre, elle a également réaffirmé « sa pleine confiance dans la qualité des équipements proposés dans cette compétition par l’industrie française », leurs performances étant « démontrées chaque jour en opérations, en particulier par nos forces armées ».

Cela étant, interrogée par Le Temps en marge des Rencontres économiques d’Aix en Provence, Mme Parly est allée un peu plus loin… « L’offre que nous soutenions, pour ce formidable outil qu’est le Rafale, méritait beaucoup mieux », a-t-il dit au sujet de la décision suisse. « Je n’ai aucune leçon à donner, mais la réalité de notre coopération militaire, vue l’importance de nos frontières communes, justifiait de regarder ce dossier avec la plus grande attention », a-t-elle ajouté.

Effectivement, la coopération militaire entre la France et la Suisse est importante. Et elle va encore s’approfondir après un accord de coopération en matière de renseignement spatial, Berne devant avoir accès aux images des satellites français CSO.

Cette coopération concerne également les domaines NRBC [nucléaire, radiologique, biologique, chimique], la cyberdéfense et… la défense aérienne.

« La France et la Suisse réalisent un grand nombre d’exercices conjoints visant à renforcer notre interopérabilité pour assurer la continuité de la défense commune de notre espace aérien. La coopération, déjà dense, entre nos armées de l’air pourrait se renforcer à la faveur du programme Air2030. Le nouveau cadre juridique facilitera l’interopérabilité de nos moyens, qui sera d’autant plus efficace si nous disposons d’outils similaires », avait par ailleurs souligné un rapport du Sénat au sujet d’un accord relatif à la coopération bilatérale en matière d’instruction militaire entre les deux pays.

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