« Haute intensité » : La France va renouer avec les grandes manoeuvres militaires

Après la guerre franco-prussienne de 1870, l’Europe entra dans une période de paix [longue, pour l’époque] qui favorisa les progrès économiques et technologiques, ce qui fit écrire à Charles Péguy que « le monde a[vait] plus changé entre 1880 et 1914 que depuis les Romains ».

Cette époque est d’ailleurs considérée comme ayant été celle de la « première mondialisation ». Cependant, des deux côtés du Rhin, elle fut marqué par les « grandes manoeuvres militaires » [« Kaisermanöver » en Allemagne], dont l’enjeu était d’affiner les tactiques, de tester les nouveaux matériels et d’affirmer sa puissance militaire. Comme celles qui, organisées en 1901 dans l’est de la France, mobilisèrent pas moins de 130’000 soldats, répartis entre les Armées A et B.

Comparaison n’est pas raison, dit-on. Mais la « Belle Époque » présente quelques traits communs à la période actuelle, avec un contexte internationale qui se durcit et des menaces ne cessent de s’accentuer. Et désormais, un conflit [ou d’un engagement] de haute intensité fait partie des hypothèses que l’on ne peut écarter d’un revers de main.

Lors de sa dernière audition au Sénat en qualité de chef d’état-major des Armées [CEMA], plaidant pour un maintien de l’effort budgétaire en matière de défense en dépit des difficultés économiques causées par la pandémie de covid-19, le général François Lecointre a affirmé que « nous avons tous le devoir de faire prendre conscience à nos concitoyens que le monde qui les entoure est un monde violent et qu’ils vont être rattrapés par cette violence très rapidement, quoiqu’il arrive, qu’ils le veuillent ou non. » Et d’insister : « On ne peut pas faire d’impasse sur la protection de nos intérêts stratégiques et sur le rang de la France dans le monde ».

Cela étant, si elle ne sera pas actualisée comme prévu en raison des incertitudes économiques pour ses deux dernières annuités, la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 fera toutefois l’objet d’ajustements afin de prendre en compte de nouvelles priorités. Et cela, selon trois axes : « Mieux détecter et contrer », « Mieux se protéger » et « Mieux se préparer ».

Selon les explications du général Lecointre, « mieux se préparer » signifie qu’il « s’agit surtout de conforter l’effort de préparation opérationnelle des armées, en parallèle de ce qui est conduit en faveur de leur réparation et de leur modernisation ».

« Pour être tout à fait franc, je pense que, au moment de l’élaboration de la LPM, nous avions sous-estimé les besoins en ressources budgétaires dans ces domaines. Aujourd’hui, il nous apparaît nécessaire de les renforcer, en rehaussant la disponibilité des équipements requis pour assurer une plus grande homogénéité de l’entraînement opérationnel, en compensant des fragilités logistiques mises en évidence par la crise sanitaire dans le domaine du maintien en condition opérationnelle et en améliorant les moyens permettant la valorisation de l’entraînement : simulation, centres de préparation opérationnelle et exercices, qui sont coûteux », a détaillé le CEMA.

Justement, s’agissant des exercices, le général Lecointre a confirmé que la France allait renouer, en quelque sorte, avec les « grandes manoeuvres »… mais avec des effectifs évidemment beaucoup moins importants que par le passé.

« Nous prévoyons […] d’organiser en 2023 un exercice, dénommé Orion, qui sera multi-milieux, interarmées, interallié, de niveau divisionnaire et qui impliquera 17’000 à 20’000 hommes et 500 véhicules de l’armée de Terre, deux porte-hélicoptères amphibies, le porte-avions Charles-de-Gaulle pour la Marine et 40 avions de l’armée de l’Air et de l’Espace », a résumé le général Lecointre.

« Il nous faut acquérir des moyens permettant de garantir la cohérence d’ensemble et la maîtrise par les armées de la force dans des environnements moins permissifs », a-t-il continué, avant d’estimer qu’il est aussi nécessaire de renforcer les « activités notamment de l’armée de Terre et de l’armée de l’Air et de l’Espace, en augmentant les heures de vol de chasse et les heures d’entraînement sur blindés, à partir de 2022. »

Pour le CEMA, de telles manoeuvres sont une manière de « signifier notre détermination » Et elles consituent aussi une « autre façon de contrer des stratégies hybrides car dans cette cette confrontation de volontés, nous devons penser que chacune de nos actions peut être, et doit pouvoir être, interprétée par nos compétiteurs ou par nos ennemis ».

Or, a-t-il poursuivi, « être capable de conduire un exercice de haute intensité participe de cette volonté de signifier à nos compétiteurs que nous nous défendons, que nous agissons et que nous sommes capables de contrer ces actions. » Et d’enfoncer le clou : « Les exercices que cette préparation nous amène à réaliser constituent, en eux-mêmes, une forme de démonstration de puissance, donc de confrontation. »

Reste que, depuis maintenant plusieurs années, la Russie organise régulièrement des manoeuvres de grande ampleur, comme cela sera encore le cas avec celles appelées « Zapad 2021 », qui auront lieu en Biélorussie en septembre prochain. L’Otan n’est pas non plus en reste, avec des exercices d’une ampleur qui n’avait plus été vue depuis la fin de la Guerre Froide.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]