Les États-Unis lèvent les limitations imposées aux missiles développés par la Corée du Sud

Au début des années 1970, redoutant un éventuel désengagement des États-Unis, qui venaient d’amorcer une « détente » avec la République populaire de Chine [avec la diplomatie dite du « ping pong »] et… de retirer leur 7e Division d’Infanterie de son pays, le président sud-coréen, Park Chung-hee, donna son feu vert à la mise au point d’un missile balistique de conception nationale, dans le cadre d’un projet plus vaste, appelé « Yulgok ». Et c’est ainsi que le Baekgom-1, d’une portée de 180 km, vit le jour, en 1978.

Cependant, certains pays en prirent ombrage, comme l’Union soviétique, qui mit en garde contre une possible dimension nucléaire du programme sud-coréen. Ou encore [et surtout] comme le Japon, qui exprima les mêmes craintes.

Aussi, en 1979, Washington et Séoul trouvèrent un terrain d’entente : la portée des missiles sud-coréens ne pourraient pas excéder 180 km et leur charge utile serait limitée à 300 kg. En échange de ces « lignes directrices », la Corée du Sud aurait la garantie de la protection américaine et un accès à la technologie relative aux engins balistiques.

N’étant évidemment pas soumise à de telles restrictions, la Corée du Nord ne se priva pas de développer des missiles toujours plus performants. Aussi, l’accord conclu par les États-Unis et la Corée du Sud a depuis été amendé à plusieurs reprises, notamment à mesure des progrès nord-coréens.

L’essai, en août 1998, du Taepodong-1, un missile balitique nord-coréen de portée intémédiaire fit bouger les lignes. En janvier 2001, les diplomates américains et sud-coréens s’entendirent sur de nouvelles lignes directrices. Ainsi, la Corée du Sud était autorisée à étendre la portée de ses missiles à 300 km, avec une charge utile de 300 kg maximum. En contrepartie, Séoul devint membre du « Régime de contrôle de la technologie des missiles » [RCTM]. Et en 2009, le missile Hyunmoo‑2B, d’une portée de 300 km fut déclaré opérationnel.

Cela étant, au regard des progrès de la Corée du Nord en matière d’armement nucléaire et de missiles balistiques ainsi qu’au gré des tensions militaires dans la péninsule coréenne, ces lignes directrives furent de nouveau amendée en 2012 [portée étendue à 800 km pour une charge utile de 500 kg]. Même chose après le sixième essai nucléaire nord-coréen en septembre 2017, la limite concernant la charge utile ayant été supprimée. Enfin, en juillet 2020, Séoul obtint la permission auprès de Washington de mettre au point des engins à propergol solide.

Pour rappel, cette question des missiles est importante pour la Corée du Sud dans la mesure où sa stratégie de défense repose en grande partie sur de tels engins. En effet, cette dernière repose sur trois piliers : le « Korea Air and Missile Defense System » [KAMD], qui vise à déployer un bouclier antimissile, la « Kill Chain », qui consiste à mettre en réseau les moyens de frappe avec ceux du renseignement, afin de détruire préventivement les sites de lancement nord-coréens, et la « Korea Massive Punishment and Retaliation » [KMPR], qui, le cas échéant, suppose des frappes massives contre le Nord.

Pour détruire des abris enterrés ou durcis, la charge militaire emportée par les missiles est évidemment cruciale. D’où la levée des restrictions décidées en 2017. Cela étant, à l’occasion d’un récent déplacement à Washington, où il a rencontré Joe Biden, son homologue américain, le président sud-coréen, Moon Jae-in, a annoncé que les lignes directrices vont être supprimées.

C’est une « mesure symbolique et substantielle » qui « démontre la robustesse de [notre] alliance, tout comme l’accord récent sur le partage des coûts des troupes américaines stationnées dans la péninsule », a fait valoir M. Moon, selon des propos rapportés par l’agence Yonhap. Citant des conseillers du président sud-coréen, cette dernière a parlé de « souveraineté balistique ».

Ces lignes directrices étant désormais appelées à faire partie du passé, la Corée du Sud aura les coudées franches pour renforcer ses capacités de dissuasion conventionnelle. Ce qui peut passer, par exemple, par la mise au point d’une arme hypersonique. En tout cas, dans un premier temps, Séoul cherchera à augmenter la portée de ses missiles balistiques.

« Nous avons depuis longtemps acquis suffisamment de technologies et de savoir-faire pour développer des missiles à plus longue portée, mais nous n’avons pas été en mesure de les fabriquer en raison des directives sur les missiles » a ainsi souligné Nam Se-gyu, ancien patron de la DAPA, l’agence sud-coréenne de l’armement.

Cela étant, il restera à voir les réactions de la Chine, qui avait vivement protesté au moment du déploiement du système antimissile américain THAAD sur le territoire sud-coréen. Pour le moment, l’annonce du président Moon n’a pas suscité de commentaire particulier à Pékin. Il en ira sans doute autrement si la Corée du Sud intégre le QUAD, sorte de « forum sécuritaire » qui, réunissant actuellement les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie, vise à contrer les visées chinoises dans la région Indo-Pacifique.

Photo : Tir d’un missile Hyunmoo-2 le 5 juillet 2017

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