L’armée nigériane perd son chef d’état-major dans un accident d’avion

Les informations concernant Abubakar Shekau, le chef du groupe jihadiste nigérian Boko Haram, sont toujours à prendre avec précaution. Donné pour mort [ou gravement blessé] à plusieurs reprises par le passé, il a toujours fini par refaire surface…

Cela étant, et si l’on en croit des sources du renseignement récemment citées par l’AFP, Abubakar Shekau aurait tenté de mettre fin à ses jours alors que, dans son bastion de la forêt de Sambisa [nord-est du Nigéria], sa garde rapprochée et lui étaient acculés par des combattants de l’État islamique en Afrique de l’Ouest [ISWAP], une organisation ayant rompu avec Boko Haram en 2016.

« Pour éviter d’être capturé, Shekau s’est tiré une balle dans la poitrine, et la balle a traversé son épaule. Il a été grièvement blessé », a en effet confié l’une de ces sources, précisant que ses hommes ont réussi à échapper à l’ISWAP en l’emportant avec eux. Une deuxième source de l’AFP n’a cependant pas donné exactement la même version, affirmant que le chef de Boko Haram aurait mis à feu la ceinture d’explosifs qu’il portait. Quoi qu’il en soit, les autorités nigérianes n’ont fait aucun commentaire pour le moment.

Si la disparition de Shekau venait à être confirmée [et les interceptions des communications entre les chefs jihadistes iraient dans ce sens, selon The Guardian], on peut se demander ce que feront les combattants de Boko Haram. Désigneront-ils un nouveau chef ou rejoindront-ils les rangs de l’ISWAP? En tout cas, elle renforcerait la position de cette dernière dans la région. Voire plus, étant donné ses liens avec l’État islamique au grand Sahara [EIGS].

Pour rappel, Boko Haram a surtout fait parler de lui avec les nombreux exactions qu’il a commises contre les populations civiles. Ce qui a sans doute été l’une des raisons de la scission qu’il a connue il y a cinq ans, laquelle a donné lieu à la création de l’ISWAP. Cette organisation a en effet adopté une autre approche, en ciblant essentiellement les forces armées, ce qui lui a permis d’accumuler du matériels, des armes et des munitions… tout en provoquant des mouvements d’humeurs au sein des soldats nigérians.

Justement, pour reprendre les choses en main, le gouvernement nigérian a renouvelé l’état-major de ses forces armées. Et c’est ainsi que le général Ibrahim Attahiru a été nommé chef d’état-major de la Nigerian Army [armée de terre, ndlr]. L’intéressé avait assuré la conduite de l’opération Lafiya Dole, menée justement contre Boko Haram, en 2017.

À l’époque, alors que, après avoir subi des revers face à une Force multinationale mixte [FMM] mise sur pied sous l’égide de l’Union africaine, des signaux montraient que les jihadistes commençaient à relever la tête, le président nigérian Muhammadu Buhari, assura que son pays en avait « fini avec Boko Haram ». Ce qui était prendre ses désirs pour des réalités…

Quoi qu’il en soit, le général Attahiru n’aura pas eu le temps de faire ce pour quoi il avait été nommé. En effet, le 21 mai, il a perdu la vie dans l’accident de l’avion Beechcraft King Air 350 qui le transportait à Kaduna, où il devait assister à une cérémonie militaire. Dix officiers ont également été tués, dont l’équipage de l’appareil et des membres de l’état-major de l’armée nigériane.

Le King Air 350 s’est écrasé sur la piste de l’aéroport de Kaduna, pour une raison qui n’a pas encore été précisée par la force aérienne nigériane. Cela étant, les conditions météorologiques étaient mauvaises au moment du drame. Selon des vidéos diffusées via les réseaux sociaux, l’appareil a brûlé après l’impact, ce qui n’a laissé aucune chance à ses occupants.

Il s’agit du second accident d’un King Air 350 de la force aérienne nigériane en trois mois. Le 21 février dernier, un avion de ce type, appartenant au 209th Executive Airlift Group [EAG], s’était écrasé, quasiment dans les mêmes circonstances, à l’aéroport d’Abuja. Sept personnes y laissèrent la vie.

Via Twitter, après avoir exprimé sa « profonde tristesse », le président Buhari a déploré un « coup mortel » porté « à un moment où nos forces armées sont sur le point de mettre fin aux défis sécuritaire auxquels le pays est confronté ».

La mort du général Attahiru est-elle un nouveau tournant dans la lutte contre les groupes jihadistes qui sévissent dans le nord du Nigéria? On peut en douter, tant les défis qui les forces nigérianes ont à relever sont nombreux… Même si ces dernières sont récemment reçu de nouveaux matériels livrés par la Chine [obusiers, chars VT4 et ST1, avions JF-17], elles demeurent encore sous-équipées. Selon le cabinet Beacon Consulting, sur les 6,5 millions d’armes légères et de petit calibre en circulation au Nigéria, seulement 586.000 sont entre les mains des forces de sécurité…. Qui plus est, les tactiques jusqu’alors suivies n’ont pas fait leur preuve de leur efficacité.

En outre, la mort du président tchadien, Idriss Deby Itno, en avril, ainsi que l’instabilité dans le nord du Tchad, ont de quoi inquiéter les responsables nigérians. Par le passé, les seuls résultats significatifs obtenus contre Boko Haram furent le fait de l’armée tchadienne, notamment dans le cadre de la FMM.

« Les troupes tchadiennes étaient censées revenir au Nigeria. Elles étaient attendues. L’armée nigériane subit de nombreux revers et l’aide des voisins serait sûrement appréciée, mais maintenant je pense qu’il est très peu probable qu’ils reviennent », a récemment commenté Vincent Foucher, chercheur au CNRS et spécialiste du Nigéria, dans les colonnes du quotidien Le monde. Et d’estimer que, face au risque d’instabilité causée par la mort du président Déby, N’Djamena pourrait « alléger ses positions le long du lac Tchad, donnant plus de marge aux combattants de Boko Haram et de l’ISWAP pour opérer. »

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