Tribunes des militaires : Le général Lecointre calme le jeu et denonce des « entreprises de déstabilisation »

Diffusée le 21 avril par Valeurs Actuelles alors qu’elle circulait depuis le début du mois sur des sites à l’audience confidentielle, la lettre ouverte signée par une vingtaine d’officiers généraux en deuxième section [2S] pour exhorter les élus à agir contre le « délitement de la France » et le risque de « guerre civile » n’aura pas manqué d’être instrumentalisée politiquement.

Dans un premier temps, candidate du Rassemblement nationale pour la prochaine élection présidentielle, Marine Le Pen a invité les signataires à la rejoindre. Puis, à gauche, Jean-Luc Mélenchon, autre prétendant à l’Élysée, a interpellé, avec d’autres, le gouvernement pour lui reprocher sa passivité face à ce qu’il estimé être un appel à l’insurrection [ou à un coup d’État], avant de saisir le procureur de la République de Paris au titre de l’article 40 du Code pénal.

Ensuite, la ministre des Armées, Florence Parly, a dénoncé l’appel du pied de Mme Le Pen aux signataires de cette lettre ouverte, tout en promettant des sanctions aux officiers généraux en 2e section signataires, accusés de s’être affranchis de leur devoir de réserve.

Et le chef d’état-major des armées [CEMA], le général François Lecointre, a confié au quotidien Le Parisien qu’il souhaitait leur radiation de la deuxième section, avant même la réunion d’un conseil d’enquête chargé d’examiner l’affaire. Et il s’en est pris vivement au général Piquemal [déjà radié des cadres pour une affaire précédente], ce qui a valu en retour une réponse cinglante de ce dernier, pour qui la locution « Cedant arma togae » [« Que les armes cèdent à la toge »] ne veut plus rien dire.

Entretemps, plusieurs responsables politiques n’ont pas eu de mots assez durs à l’endroit de ces officiers généraux en 2S.

Le résultat est que l’audience de cette lettre a été décuplée et que d’autres anciens militaires, qui ne connaissaient alors peut-être pas son existence, l’ont signée [le nombre de signataires est passé de 1.000 à plus de 26.000 en quelques jours].

C’est ce qu’on appelle l’effet « Streisand » [ou « Flanby »]. Méritait-elle de telles réactions, alors que le procureur de la République a estimé que cette lettre ouverte n’était pas un appel à l’insurrection, comme certains l’avaient suggéré?

Que les officiers généraux 2S se soient affranchis de leur devoir de réserve ne fait aucun doute. Pour autant, certains d’entre eux étaient jusqu’alors coutumiers du fait [voir ici, par exemple], sans que cela fît lever le moindre sourcil.

Ce devoir de réserve, il n’en a nullement été question quand d’autres officiers généraux ont conseillé, en 2017, des candidats à l’élection présidentielle. Et l’on a même vu une capitaine de l’armée de Terre être élue députée, ce qui ne s’était plus produit depuis 1918. Par ailleurs, la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 a autorisé les militaires à devenir conseillers municipaux tout en restant en activité, à la condition d’être élus dans des communes de moins de 3.500 habitants.

Aussi, au lieu de promettre le goudron et les plumes aux signataires et d’obtenir finalement l’effet inverse de celui qui était recherché, sans doute aurait-il été mieux avisé, comme aurait dit le général de Gaulle, de « laisser pisser le mérinos ». D’autant que ce n’est pas la première fois que des militaires publient des tribunes…

En 2008, le Figaro avait publié celle du groupe Surcouf qui s’en prenait vertement aux réformes des armées alors annoncées par le président Sarkozy. À l’époque, le général Geogelin, alors CEMA, avait calmé le jeu en disant ne pas vouloir de « chasse aux sorcières ». Cinq ans plus tard, un média public [France Infos] diffusa une lettre critique du groupe « Marc Bloch », composé, avait-il alors été dit, de jeunes officiers « engagés pour défendre […] les intérêts et les valeurs de la France ». L’affaire n’alla pas plus loin.

Reste que suite aux réactions suscitées par cette première tribune, Valeurs Actuelles a remis le couvert avec une seconde, signée cette fois par des militaires d’active, ces derniers exigeant, en plus, le respect dû à leurs aînés. Selon l’hebdomadaire, il s’agit de « jeunes officiers » dont « certains reviennent d’opex ». Et encore une fois, des membres du gouvernement et de la majorité présidentielle sont montés au créneau, dénonçant une « intrumentalisation ». Quant à M. Mélenchon, fustigent des « militaires d’active qui veulent signer une tribune de manière anonyme » en les qualifiant de « factieux » et de « lâches », il a promis de « purger » l’armée s’il est élu en 2022.

Cela étant, s’il a aussi parlé de « tentatives d’instrumentalisartion », le général Lecointre s’est gardé de parler de sanctions dans la lettre qu’il diffusée le 10 mai au soir.

« Depuis plusieurs semaines, à l’occasion de tribunes publiées sur Internet ou d’interventions publiées dans les médias, l’obligation de réserve qui s’impose à tout militaire a été largement transgressée. Des prises de position ont été attribuées à des militaires tenus à cette obligation, quand elles n’ont pas été revendiquées par ces derniers », commence par rappeler le CEMA.

« Pour certaines raisons, peut-être par naïveté, certains ont fait le choix de s’affranchir de cette obligation de réserve. Au nom de la défense de convictions personnelles, ils ont contribué à entraîner l’armée dans des débats politiques au sein desquels elle n’a ni légitimité ni vocation à intervenir », poursuit le général Lecointre, avant de demander de faire preuve de « bon sens » et de « lucidité » face à ce qu’il décrit comme étant des « tentatives d’instrumentalisation de l’institution militaire » et des « entreprises de déstabilisation. »

Pour le CEMA, « chaque militaire est libre de penser ce qu’il veut, mais il lui appartient de distinguer sans ambigüité ce qui ressort de sa responsabilité de citoyen de ce qui ressort de sa responsabilité de militaire ». Et d’insister : « L’obligation de réserve garantit la neutralité politique, ciment de la crédibilité des armées vis-à-vis des Français. C’est cette neutralité qui permet l’engagement sans réserve et sans arrière-pensée des militaires au profit de leurs compatriotes. »

Par la suite, le général Lecointre met en avant deux vertus « indépassables », à savoir la cohésion et l’esprit de corps. Ces dernières « permettent d’unir tous les militaires, quelles que soient leur origine, leurs idées ou leurs croyances ». Et « seule l’adhésion collective peut permettre de vaincre un jour nos adversaires ou les ennemis de la France. »

Cela étant, continue le CEMA, dés lors que les convictions personnelles « conduisent une revendication politique incompatible avec l’état militaire et ses obligations, voire à une remise en cause de la stricte subordination au pouvoir politique républicain, démocratiquement élu, le plus raisonnable est certainement de quitter l’institution pour pouvoir rendre public en toute liberté ses idées et ses convictions ».

En conclusion, le général Lecointre renouvelle « toute sa confiance » aux militaires, qui sont « l’émanation de la Nation, dans toute sa diversité ».

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