Le chef d’état-major des armées souhaite la radiation des officiers généraux 2S signataires d’une tribune polémique

En 2015, la photographie d’une robe avait suscité de vifs débats parmi les internautes, qui n’étaient pas d’accord sur la couleur de son tissu, qui paraissait bleu et noir aux uns, blanc et or aux autres. Et certains changèrent même d’avis entre-temps. En réalité, ce vêtement était bleu… Mais cette simple anecdote montre que tout le monde ne perçoit pas les couleurs de la même façon. En va-t-il de même pour la compréhension que l’on peut avoir d’un texte?

Ainsi, la lettre ouverte signée par des généraux placé en deuxième section [2S], c’est à dire n’étant plus en activité mais pouvant être rappelés par le ministère des Armées en cas de besoin, a donné lieu à des interprétations différentes.

Pour rappel, cette tribune, qui met en garde contre le risque d’une guerre civile provoquée par le « délitement » de la France, a été publiée au début de ce mois, avant d’être reprise par l’hebdomadaire Valeurs Actuelles le 21 avril dernier.

Ses signataires appellent « ceux qui dirigent notre pays » à « impérativement trouver le courage nécessaire à l’éradication de ces dangers », en appliquant « sans faiblesse des lois qui existent déjà ».

Faute de quoi, estiment-ils, « le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant, au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national. » Or, c’est ce passage qui fait polémique, d’autant plus qu’ils se disent disposés à « soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation. »

Pour les uns, cette « intervention » des militaires d’active évoquée dans ce texte est perçue comme étant la conséquence logique d’une guerre civile qui éclaterait en France. Pour d’autres, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une menace de coup d’État. Qui plus est, l’écho que cette tribune aura trouvé auprès de Marine Le Pen, candidate déclarée du Rassemblement nationale à la prochaine élection présidentielle, a vraisemblement renforcé cette perception, certains faisant le rapprochement avec le putsch des généraux d’Alger, soixante ans plus tôt…

Le 26 avril, la ministre des Armées, Florence Parly, a promis des sanctions aux signataires de cette tribune, qu’elle a estimée « inacceptable ». Et de pointer un manquement au devoir de réserve, qui concerne aussi bien les généraux en deuxième section que les militaires encore en activité.

Deux jours plus tard, alors qu’un fil de discussion sur Twitter intitulé « #soutienauxgeneraux » était alimenté des milliers de messages, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général François Lecointre, a confié au quotidien Le Parisien que 18 militaires encore en activité – dont quatre officiers – avaient été identifiés parmi les signataires de cette tribune, laquelle a désormais recueilli plus de 8.000 signatures [contre un millier avant le début de la polémique].

« Ils recevront des sanctions disciplinaires militaires. On est en train d’étudier avec les chefs d’état-major des trois armées les cas des 18 personnes concernées et le niveau de sanction à appliquer. Mon intention est qu’elles soient plus fortes pour les plus gradés et moins fortes pour les moins gradés. Je considère que plus les responsabilités sont élevées, plus l’obligation de neutralité et d’exemplarité est forte », a ainsi annoncé le général Lecointre.

Quant aux généraux de deuxième section, le CEMA a dit souhaiter « leur mise à la retraite d’office », soit la sanction généralement décidée qu’en cas de faute lourde. Et d’ajouter : « C’est une procédure exceptionnelle, que nous lançons immédiatement à la demande de la ministre des Armées. »

Normalement, ces officiers généraux 2S passeront devant un conseil supérieur militaire, appelé à se pencher sur leur cas. Visiblement, le sort est déjà scellé avant même que l’occasion leur soit donnée de se justifier. Pour rappel, les sanctions sont réparties en trois groupes selon leur sévérité. Elles vont du blâme du ministre à la radiation des cadres.

Cela étant, dans l’entretien qu’il a donné au Parisien, le général Lecointre admet qu’il s’est « d’abord dit » que cette tribune des généraux « qu’elle ne présentait pas grand intérêt. » Puis il a changé d’avis en estimant que « ses auteurs savaient très bien qu’ils prenaient un parti pris politique », ce qu’il ne peut « pas accepter », car « la neutralité des armées est essentielle. » Enfin, dit-il, « j’ai été choqué d’y lire un appel à l’armée d’active : ça me révulse absolument. »

Quant à la politisation de cette affaire, le CEMA s’en est dit « navré ». Et de conclure : « Les femmes et hommes politiques, qui prennent le risque d’instrumentaliser les armées pour en faire un objet de polémique, ne rendent pas service à la République. »

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