La Marine nationale va se doter d’une « frégate numérique »

Il est généralement avancé que le « big data », c’est à dire la collecte massive de données ainsi que leur stockage et leur exploitation, sera le « pétrole » du XXIe siècle. Ce qui aura immanquablement des conséquences économiques dans la mesure où ce concept, avec les technologies qui lui sont liées [cloud, intelligence artificielle] permettra de stimuler la croissance et d’améliorer la productivité. Selon le cabinet Valuates Reports, le marché mondial du « big data » devrait dépasser les 500 milliards de dollars en 2016, acec un taux de croissance annuel moyen de près de 15%.

Étant donné que les armées produisent énormément de données, le big data peut avoir un intérêt opérationnel, que ce soit dans les domaines du renseignement, le développement et l’emploi de systèmes d’armes, de l’élaboration de concepts d’opération, de maintien en condition opérationnelle [MCO], etc. Ainsi, dans son plan stratégique « Mercator », la Marine nationale entend même en faire une « condition incontournable de la supériorité et de la victoire au combat. »

Seulement, pour cela, il faut collecter et emmagasiner des données qui, jusqu’alors, ne l’étaient pas. Mais ce n’est pas tout de les recueillir : encore faut-il qu’elles soient fiables ou traitées pour qu’elles puissent être exploitables.

« Le pétrole ne vaut quasi rien à l’état brut. C’est en subissant de nombreuses opérations de transport, de transformation, de stockage et de raffinage qu’il prend de la valeur et qu’il devient utile. C’est par toutes ces opérations industrielles qu’un simple liquide noir transforme le monde. Là encore, c’est exactement la même chose avec les données. Les données brutes sont indispensables mais elles sont inutiles et peu valorisées sans transformation », résume Mick Levy, dans son livre « Sortez vos données du frigo« .

Pour la Marine, transformer ces données est un défi en soi. « Lorsque nous enregistrons des données, elles doivent être annotées, c’est-à-dire qu’il faut les accompagner d’éléments de contexte : conditions météorologiques, bâtiment de surface, sous-marin ou aéronef participant à la mission, phase [appareillage, transit, exercice, ravitaillement…] durant laquelle elles ont été enregistrées », résume Laurence, chef de la division ingénierie logicielle au Centre d’expertise des programmes navals [CEPN], dans les colonnes de Cols Bleus.

Ce travail de « raffinage » a été confié au Centre de service de la donnée Marine [CSD-M], dont la mission est de constituer des bases de données annotées et contextualisées afin d’alimenter ensuite les algorithmes d’intelligence artificielle, les industriels et les opérationnels. « Doté d’un data center, le CSD-M récupérera des données ‘en vrac’ de tout niveau de confidentialité pour en faire des jeux de données cohérents, triés et structurés », explique Cols Bleus.

S’agissant de l’apport du « big data » aux opérations navales, la Marine a lancé le projet AXON@V, qui vise à connecter diverses plateformes [navires, aéronefs, commandos, etc] pour « démultiplier les effets opérationnels des forces aéromaritimes, grâce à une ‘intelligence réseaux’ et un traitement massif des données. » En un mot, il s’agit de favoriser le combat collobaratif.

Enfin, pour exploiter ses données, la Marine nationale entend se doter d’une « frégate numérique », dans le cadre du projet LILO [Laboratoire d’interopérabilité opérationnelle]. Là, il s’agit en quelque sorte de créer le « jumeau numérique » [*] d’une frégate de premier rang [FREMM, FDA ou future FDI] afin d’en tester, dans un contexte opérarionnel, les systèmes d’information, d’évaluer l’interopérabilité de ces derniers entre eux ainsi qu’avec les systèmes de liaison de données tactiques et de direction de combat. Enfin, il est aussi question « d’intégrer les derniers développements des industriels et des start-ups avec lesquels travaille la Marine », précise Cols Bleus.

Cette « frégate numétique » sera dotée, à cette fin, des mêmes moyens de communication radio et satellitaires que ceux que l’on trouve à bord des frégates réelles. Et ils fonctionneront avec une latence identique à celle rencontrée en mer.

Le projet LILO se déploiera sur le site de la Direction générale de l’armement – Techniques navales [DGA/TN], à Toulon. Cette plateforme, qui sera opérationnelle d’ici la fin de cette année, occupera 800 m² répartis en 4 zones, dont « une partie accueillant les industriels, un secteur dédié à la qualification, un espace consacré aux exercices d’interopérabilité avec nos alliés, qui permettra d’acquérir un véritable retour d’expérience sur l’utilisation des systèmes d’information de l’Otan, et une zone dans laquelle le CEPN a reconstitué le système d’information d’une frégate. »

[*] Un jumeau numérique est une représentation virtuelle dynamique d’un objet, qui permet de réaliser des simulations et des analyses

Photo : Marine nationale

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