D’anciens amiraux turcs arrêtés pour avoir critiqué le projet de « canal d’Istanbul », défendu par M. Erdogan

Pour rejoindre la mer Noire depuis la Méditerranée, un navire doit emprunter le détroit des Dardanelles, puis celui du Bosphore, où la libre navigation est garantie par le Convention de Montreux, signée en 1936. Ce texte pose cependant des conditions pour les bâtiments militaires.

Or, au début des années 2010, et alors qu’il était encore le chef du gouvernement turc, Recep Tayyip Erdogan a présenté un projet visant à creuser un canal entre la mer de Marmara et la mer Noire au niveau d’Istanbul, afin de désengorger le trafic maritime dans le détroit du Bosphore, emprunté, chaque année, par au moins 40.000 navires [dont environ 10.000 pétroliers].

Un tel projet n’est pas nouveau. Il avait en effet déjà été avancé à l’époque de Soliman le Magnifique aux XVIe siècle, avant d’être abandonné. Dans le détail, il s’agirait de creuser un canal de 40 à 50 km de long pour une largeur de 150 mètres et une profondeur de 25 mètres. Ce qui permettrait le transit quotidien de 160 navires de fort tonnage.

Un temps menacé par les difficultés économiques de la Turquie, ce chantier, qualifié de « pharaonique » par ses détracteurs, a été confirmé par le président Erdogan en janvier 2020. « Il nous faut un projet de voie maritime alternative. Toutes les études ont été faites, nous n’aurons aucun problème à financer ni à construire ce canal », avait-il en effet assuré à l’époque.

Seulement, ce canal serait de nature à remettre en cause la Convention de Montreux. C’est, en tout cas, le point de vue qu’ont fait valoir 104 anciens amiraux de la marine turque dans une lettre ouverte publiée le 4 avril, en faisant valoir que le texte signé en 1936 « protège au mieux les intérêts » d’Ankara.

Mais cette contestation n’a guère été du goût du président Erdogan… « Non seulement ceux qui ont signé, mais aussi ceux qui les encouragent, devront rendre des comptes devant la justice », a ainsi déclaré, Fahrettin Altun, chef de la communication du président Erdogan. Et le porte-parole de la présidence turque, Ibrahim Kalin y est allé de son coupler en affirmant que la prise de position de ces anciens amiraux « rappelait l’époque du coup d’État ». Et d’ajouter : « Ils doivent savoir que notre estimée nation et ses représentants ne permettront jamais cet état d’esprit. »

Mais la riposte du pouvoir turc ne s’est pas limitée aux mots. Ce 5 avril, dix signataires de la lette ouverte ont été arrêtés et place en garde à vue tandis que quatre autres ont reçu une convocation pour se présenter à la police d’Ankara d’ici trois jours. Et cela, dans le cadre d’une enquête ouverte pour « réunion visant à commettre un crime contre la sécurité de l’État et l’ordre constitutionnel. »

Parmi les ex-militaires interpellés figure le contre-amiral Cem Gürdeniz, connu pour avoir élaboré la doctrine de « Patrie bleue » [Mavi Vatan, ndlr], sur laquelle se fonde Ankara pour justifier ses prétentions en Méditerranée orientale face à la Grèce.

« Je ne suis pas lié de près ou de loin au gouvernement turc et ce n’est pas de ma faute si celui-ci utilise mon concept. Mavi Vatan vise à atteindre, sécuriser et développer les droits et les intérêts de la Turquie en Méditerranée. C’est une question qui dépasse les considérations gouvernementales et partisanes en Turquie », avait expliqué le contre-amiral Gürdeniz, dans un entretien donné à l’hebdomadaire Le Point, en novembre 2020.

Cela étant, ce dernier est un habitué des géôles turques. Il avait en effet été arrêté en 2011 car accusé d’avoir fomenté un putsch huit ans plus tôt. « C’est l’organisation de Fettulah Gülen [alors alliée du président Erdogan, désormais devenue son principa adversaire depuis la tentative de coup d’État de juillet 2016, ndlr], qui disposait de nombreux soutiens au sein de l’administration judiciaire, qui a monté de faux dossiers contre les amiraux et les officiers pro-kémalistes », expliquera l’ancien amiral, qui sera finalement acquitté en 2014

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