Dans les simulations d’invasion de Taïwan par la Chine, les forces américaines sont souvent tenues en échec

 

Au début des années 2000, les forces américaines pouvaient encore contrer relativement aisément une éventuelle invasion de Taïwan par la Chine, la supériorité tant navale qu’aérienne leur étant acquise. Seulement, leurs capacités se sont érodées après vingt ans de « guerre contre le terrorisme ». En outre, même si le budget militaire des États-Unis est, de loin, le plus élevé du monde, la mise sous séquestre des dépenses fédérales, en 2013, a conduit à des coupes budgétaires ayant affecté la préparation opérationnelle ainsi que certains programmes d’armement, jugés moins prioritaires que d’autres.

Dans le même temps, la Chine a mis les bouchées double, que ce soit dans la construction navale, la production de missiles dont la portée est toujours plus longue et la mise au point de nouveaux matériels, comme l’avion de 5e génération J-20 ou encore les armes hypersoniques. Et elle a également renforcé sa présence en mer de Chine méridionale, installant des capacités d’interdiction et de déni d’accès [A2/AD pour Anti-Access/Area Denial] sur des îlots qu’elle s’est approprié, pratiquant la politique du fait accompli.

En 2017, alors à la tête du commandement pour le Pacifique [US PACOM, devenu, depuis, l’US INDOPACOM], l’amiral Harry Harris avait prévenu : les forces américaines manquaient de moyens dans la région pour répondre au renforcement significatif des capacités militaires de la Chine, mais aussi de celles de la Russie, voire de la Corée du Nord. Et de prévenir qu’au rythme où allaient les choses, la puissance militaire chinoise égalerait bientôt celle des États-Unis.

Deux récents rapports publiés outre-Atlantique tendent à donner raison à l’amiral Harris. Du moins pour ce qui concerne les opérations navales. Ainsi, le Centre de recherche du Congrès américain a indiqué, le 9 mars, que la marine chinoise avait dépassé l’US Navy en nombre de navires [333 contre 296, soit +117 bâtiments entre 2005 et 2020]. Et encore, sans compter les unités mises en oeuvre la garde-côtière et la milice maritime chinoises, ce qui porterait le nombre de navires disponibles à plus de 700 [.pdf].

Le renseignement naval américain [Office of Naval Intelligence – ONI] a fait le même constat, allant jusqu’à prédire que la flotte militaire chinoise sera en mesure d’aligner 400 navires d’ici 2025. Au-delà de la quantité, la qualité des unités mises en service est évidemment un élément important. Et là aussi, la Chine a fait d’énormes progrès, les bâtiments qu’elle met en service étant de plus en plus sophistiqués. Comme par exemple dans le domaine des sous-marins.

« Si la valeur opérationnelle de la première génération de sous-marin nucléaires d’attaque [chinois], qui date des années 80, était jugée très faible, il en va tout autrement des tous récents SNA de type Shang qui sont crédités d’un remarquable niveau de discrétion acoustique « , avait ainsi relevé l’amiral Bernard Rogel en 2014, quand il était encore le chef d’état-major de la Marine nationale.

Successeur de l’amiral Harris à la tête de l’US INDOPACOM, l’amiral Philip Davidson a prévenu, lors d’une récente d’une audition au Congrés, que l’érosion des capacités militaires américaines pourrait encourager Pékin à tenter de prendre le contrôle de Taïwan par la force d’ici 2027. « Nous accumulons des risques qui pourraient inciter la Chine à changer unilatéralement le statu quo avant que nos forces ne soient en mesure de fournir une réponse efficace », a-t-il dit.

D’ailleurs, à Pekin, et alors que le concept « un pays, deux systèmes » s’est évaporé avec mise au pas de Hong Kong, la mainmise sur Taïwan est présentée comme étant inéluctable. « Il n’y a qu’une seule Chine dans le monde. Taïwan est une partie inaliénable du territoire chinois. La question de Taïwan est l’affaire intérieure de la Chine, qui ne souffre d’aucune ingérence extérieure. Le grand rajeunissement de la nation chinoise et la réunification complète des deux rives du détroit de Taïwan sont inévitables », a encore répété le porte-parole du ministère chinois de la Défense, en commentant les propos de l’amiral Davidson, lors d’une conférence de presse donnée le 25 mars.

En tout cas, si l’on en croit les simulations et autres « jeux de guerre » reposant sur une invasion de Taïwan et réalisés par le groupe de refléxion RAND Corporation, les « États-Unis perdent souvent ».

Dans l’un des cas de figure étudié, « la force aérienne taïwanaise est anéantie en quelques minutes, les bases aériennes américaines à travers le Pacifique sont attaquées et les navires et avions américains sont tenus à distance par l’arsenal chinois de missiles à longue portée », a détaillé David Ochmanek, un ancien haut responsable du Pentagone, auprès de NBC News. « Même lorsque les équipes bleues [les forces américaines, ndlr] dans nos simulations et nos jeux de guerre sont intervenues de manière déterminée, elles ne réussissent pas toujours à repousser l’invasion », a-t-il ajouté.

D’autant plus que, comme lors de la bataille navale de Tsushima [remportée par le Japon face à la Russie, ndlr], la marine chinoise aurait l’avantage d’être proche de ses bases… Qui plus est, « quand vous regardez le nombre et la gamme de systèmes que la Chine déploie, il est assez facile de déduire quel est leur objectif principal, car à peu près tout ce qu’ils construisent peut toucher Taiwan. Et beaucoup de choses qu’ils construisent ne peuvent vraiment toucher que Taiwan », souligne David Shlapak, spécialiste des affaires militaires à la RAND Corporation.

Cela étant, les scénarios utilisés pour ces simulations n’ont pas été précisés. Spécialistes au Council on Foreign Relations [CFR] Robert D. Blackwill et Philip Zelikow en ont imaginé trois [.pdf]. Selon le premier, la Chine mettrait la main sur la périphérie de Taïwan, en s’assurant du contrôle des îles de Taiping et de Pratas ainsi que sur l’archipel Pescadores [ou Pengdu] et les îles Quemoy et Matsu, située dans le détroit de Taïwan [et qui ont déjà fait l’objet d’une confrontation dans les années 1950]. Agir de la sorte permettrait de tester la réaction de Taipei et la détermination des États-Unis.

Le second scénario partage peu ou prou le même objectif, il consisterait à isoler Taïwan en imposant un blocus aérien et naval. Enfin, le dernier serait une invasion pure et simple de l’île, avec tous les risques [et conséquences] que cela suppose. Cela pourrait passer par des opérations spéciales visant à paralyser les autorités taïwanaises ou par un débarquement…

Sur ce dernier point, une solution, avancée par Forbes, consisterait à maintenir en permanence à Taïwan une brigade de combat de l’US Army, avec ses appuis [artillerie, défense aérienne, etc] afin de « marquer l’engagement des États-Unis à la défense de l’île. » Et d’ajouter : « L’objectif principal ne serait pas de vaincre une force d’invasion mais de la contraindre à s’engager tôt dans un combat avec l’armée américaine. Une telle perspective, dès le début d’une opération inter-détroit, inciterait Pékin à réfléchir à une potentielle escalade. » Seulement, agir de la sorte reviendrait à mettre un terme au concept de « Chine unique », adopté par Washington pour normaliser ses relations avec Pékin.

Reste que l’objectif de la Chine n’est pas forcément de chercher la confrontation… « Le meilleur savoir-faire n’est pas de gagner cent victoires dans cent batailles mais plutôt de vaincre l’ennemi sans combattre », enseignait Sun Tsu. Et c’est exactement le chemin suivi par Pékin en mer de Chine méridionale, en pratiquant la politique du fait accompli et sans avoir eu besoin de tirer un coup de feu pour s’approprier des îles contestées.

Photo : US Navy

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