Mali : La force Barkhane accusée d’avoir commis une bavure par un proche… de la mouvance jihadiste

En janvier, une association culturelle peule avait accusé la force française d’avoir visé un mariage près de la localité de Bounti. Et les premiers témoignages recueillis par la presse évoquèrent un « hélicoptère » ayant « volé très bas ». Puis, au fil du temps, les versions de l’incident évoluèrent… Et une photographie censée montrer les corps des victimes s’avéra en réalité celle d’un massacre commis en 2014 au Nigeria par Boko Haram.

De son côté, l’État-major des armées [EMA] confirma avoir visé, près de Bounti, un rassemblement jihadiste à l’issue d’une manoeuvre de renseignement ayant duré plusieurs jours. Et que le raid avait été mené par une patrouille de Mirage 2000 [et non par un hélicoptère]. « Aucun élément constitutif d’un mariage n’a été observé », avait-il assuré, précisant que la frappe [trois bombes] avait été  localisée en 30 PWB 4436 83140, à plus d’un kilomètre au nord des premières habitations » de la localité en question.

« Les faits ne pèsent pas plus lourd que la rumeur » et les restrictions en matière de communication opérationnelle « nous placent nous-mêmes dans une situation inconfortable », déplorera Florence Parly, la ministre des Armées, lors d’une audition parlementaire. Et de dénoncer une « tentative de manipulation ».

La Mission des Nations unies au Mali [MINUSMA] a lancé une enquête pour savoir ce qu’il s’est vraiment passé à Bounti. Ses conclusions n’ont pas encore été dévoilées.

Mais trois mois après cet épisode, la force Barkhane a une nouvelle fois été accusée d’avoir commis une « bavure », à l’occasion d’un raid aérien effectué le 25 mars, à 60 km au nord d’Indelimane, près de la localité de Talataye. Dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux, elle explique avoir « procédé à une frappe neutralisant un groupe armé terroriste » après avoir été « ordonnée » à l’issue d’une « phase de renseignement et d’identification ayant permis de caractériser la présence et le regroupemnt GAT ». Et de préciser que trois motos ont été détruites, sans plus de détails.

Sauf que, par la suite, également sur les réseaux sociaux, des internautes ont fait état de « quatre jeunes » tués « suite à une frappe aérienne effectuée » par Barkhane dans le secteur d’Adjarnadamos, localité située à 20 km à l’ouest de Talataye.

Puis, la communauté Idaksahak a publié un communiqué pour informer « l’opinion publique nationale que cinq de ses jeunes ont été tués dans une frappe aérienne de Barkhane le 25 Mars 2021 à Agarnadamos [30 km de Talataye] ». Et de préciser les identités de ces derniers.

Enfin, le maire de Talataye, Mohamed Assaleh Ahmed Ishak, a publié à son tour un communiqué pour faire état de la mort de six jeunes, partis avec « trois motos et armés d’un fisil [sic] de chasse » pour « passer la journée tranquillement en dehors de la ville de Talataye et chasser des pintades et des lapins. » En outre, il a publié sept photographies de l’endroit où a eu lieu la frappe de Barkhane.

Auprès de l’AFP, il a expliqué que « vers 10H30, des témoins alentour ont rapporté des explosions » et « ont affirmé avoir vu des avions dans l’air. Impossible de savoir si c’est des avions français ou pas. » Et d’ajouter : « Après, quand l’alerte a couru dans le village, il a été décidé d’envoyer des gens et un véhicule sur place pour récupérer les six corps et les inhumer au cimetière de Talataye vers 18H00. »

Toujours auprès de la même source, un conseiller municipal a dit avoir vu un « drone faire feu » à l’ouest de Talataye.

Alors, les six individus tués lors de cette frappe étaient-ils des chasseurs ou des jihadistes? La force Barkhane s’est-elle méprise ou fait-elle une nouvelle fois l’objet d’une tentative de manipulation?

En tout cas, le maire de Talataye fait partie du Haut Conseil pour l’Union de l’Azawad [HCUA], qui compte dans ses rangs d’anciens membres de l’organisation jihadiste Ansar Dine, fondée par Iyad Ag Ghali et membre du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [JNIM ou GSIM], lié à al-Qaïda. D’ailleurs, il est régulièrement cité dans les rapports du groupe d’experts des Nations unies pour le Mali.

Ainsi était-ce encore le cas dans celui remis au Conseil de sécurité en mars 2020.

« Dans la commune de Talataye [région de Gao], la CMA [Coordination des mouvements de l’Azawad, dont le HCUA fait partie, ndlr] a imposé sa présence au MSA-D [Mouvement pour le salut de l’Azawad – Daoussak, allié du Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés, une formation pro-gouvernementale, ndlr] après une série d’actes terroristes revendiqués par le Groupe de soutien à
l’islam et aux musulmans, qui ont contraint les fractions Daoussak soutenant le Mouvement à négocier et à accepter le retour des adeptes parmi elles de la Coordination et leurs chefs politiques, y compris le maire du HCUA de Talataye, Mohammed Assaleh Ishak, également connu sous le nom de Salah Ag Ahmed », lit-on dans le document.

Un autre rapport du groupe d’expert, publié en 2019, affirme : « La collusion entre le JNIM et le HCUA s’est révélée au grand jour à Talataye, où l’on a assisté à une nette recrudescence d’attaques terroristes contre le seul MSA-D, revendiquées par le JNIM entre février et avril 2019, période pendant laquelle la CMA et le MSA étaient censées partager la zone en vertu de l’accord de réconciliation. En outre, le Groupe d’experts a recueilli d’autres éléments de preuve documentaire de cette collusion, démontrant que des individus proches de Salah Ag Ahmed étaient directement liés aux activités terroristes revendiquées par la katiba locale du JNIM. »

Un an plus tôt, le même groupe d’experts fit état de « rapports confidentiels » indiquant que les « 17 et 18 novembre 2017, Salah Ag Ahmed, décrit comme étant un proche d’Iyad Ag Ghali, aurait rencontré Abdallah Ag Albakaye, haut commandant d’Ansar Dine, basé dans le cercle de Tessalit, chargé d’assurer la liaison et la coordination entre le GSIM et l’EIGS » [État islamique au grand Sahara, ndlr]. Et d’ajouter : « Les mêmes rapports indiquent que les prêches prononcés à la mosquée de Talataye véhiculent une vision très rigoriste de l’islam, influençant les comportements sociaux de toute la commune, comme ont pu le constater les forces internationales. »

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