SCAF : Alors qu’il ne reste que 3 mois pour trouver un accord, Airbus ne croit pas au plan B de Dassault

Certes, le New Generation Fighter [NGF], l’avion sur lequel reposera le Système de combat aérien du futur [SCAF], devra être en mesure d’emporter l’arme nucléaire française. Mais pas seulement : il devra également pouvoir opérer à partir d’un porte-avions. Or, cela n’est pas sans conséquence sur sa conception, et donc sur l’accord industriel qui doit lier Dassault Aviation, désigné maître d’oeuvre, à Airbus Allemagne ainsi qu’à Airbus Espagne.

Un avion de combat embarqué possède des caractéristiques que les autres n’ont pas. Sa cellule doit ainsi être renforcée, en raison des contraintes mécaniques qui s’exercent lors des phases de catapultage et d’appontage. Même chose pour son train d’atterrissage. Enfin, il doit évidemment être doté d’une crosse d’appontage, dont la position doit être bien étudiée afin d’éviter la mésaventure qu’a connue Lockheed-Martin avec son F-35C…

Et, ce qui fait la particularité du Rafale Marine est qu’il partage 80% de la cellule et 90% des systèmes du Rafale C. Qu’en sera-t-il pour le NGF? On peut supposer que cela entre en ligne de compte dans les négociations que mènent Dassault Aviation et Airbus pour s’accorder sur le partage des tâches avant le lancement de la prochaine phase du programme SCAF.

Pour le moment, on en est loin. Et, estimant que les demandes d’Airbus ne lui permettront pas de tenir son rôle de maître d’oeuvre alors qu’il a déjà fait beaucoup de concessions et qu’il n’a pas à céder sur les questions de propriété intellectuelle, le Pdg de Dassault Aviation, Éric Trappier, a évoqué l’idée d’un plan B. Pour lui, ce que veulent l’Allemagne et l’Espagne, ce serait d’instaurer une coopération sur le modèle de l’Eurofighter, qui n’a pas forcément été très heureux en matière de coûts et de capacités…

« Mon plan B, ce n’est pas forcément de le faire tout seul, c’est de trouver une méthode de gouvernance qui permette d’emmener des Européens, mais pas dans les règles qui ont été fixées aujourd’hui [pour le SCAF] car ça, ça ne marchera pas », a ainsi expliqué M. Trappier, lors d’une audition au Sénat, la semaine passé. En clair, il voudrait reproduire le modèle de coopération que Dassault Aviation avait su mettre en place pour le développement du démonstrateur de drone de combat nEUROn. Et donc d’avoir le choix de ses sous-traitants.

Seulement, pour Airbus, il ne peut pas y avoir de plan B. C’est ce qu’a martelé Antoine Bouvier, le directeur de la stratégie, des fusions-acquisitions et des affaires publiques d’Airbus devant les sénateurs, le 17 mars.

Si on veut « atteindre l’objectif capacitaire et d’autonomie stratégique de la France et de l’Europe, je suis convaincu qu’il n’y a pas de plan B », a-t-il dit. « Le SCAF est notre avenir commun, c’est une occasion historique. Nous allons y arriver, je suis confiant, nous sommes proches d’un accord », a-t-il estimé.

Proche d’un accord, vraiment? Certes, le Pdg d’Airbus Defence & Space, Dirk Hoke, qui était également auditionné par les sénateurs, a admis que Dassault Aviation devait avoir les « leviers pour exercer son rôle. » Et donc avoir la possibilité d’arbitrer les éventuels désaccords.

Cependant, « nous pensons que le maître d’oeuvre ne doit pas tout contrôler et prendre seul les décisions du programme », a-t-il dit. En clair, a-t-il ensuite précisé, le constructeur français devrait être un « coordinateur » qui aurait à prendre en compte les « investissements » technologiques consentis par l’Allemagne et l’Espagne « il y a des dizaines d’années ».

En outre, M. Hoke ne croit pas qu’il soit possible de réaliser le SCAF seul. « Ce qui était possible dans les années 1980, ne l’est plus », a-t-il dit. Aujourd’hui, les « coûts de développement sont sans commune mesure, puisqu’il s’agit non plus seulement de développer un avion, mais un système de combat complet avec des drones associés, un cloud de combat, de nouvelles liaisons satellitaires, de l’intelligence artificielle », a-t-il expliqué.

« Certains disent ‘on veut se protéger’, d’autres ‘on veux contribuer’. Chacun a le droit et le devoir de faire l’un et l’autre. Mais ce sont les États qui ont investi et ces investissements doivent être protégés », a par ailleurs fait valoir M. Bouvier. C’est à dire que les pays impliqués doivent avoir un retour sur les investissements qu’ils font au titre du SCAF. « Il ne s’agit pas de faire le projet ‘quoi qu’il en coûte’, mais de trouver les bonnes conditions pour arriver », a-t-il aussi estimé.

Or, pour Dassault Aviation, la priorité étant de répondre à des besoins et à des ambitions opérationnelles, « il faut que l’équipe de coopération ait en tête que le but n’est pas simplement de se partager le travail mais d’être efficace. »

Reste que le temps presse. Et c’est l’argument avancé par Airbus pour boucler au plus tôt les négocations avec Dassault Aviation, afin de pouvoir soumettre l’accord au Parlement allemand avant l’été. Et d’ici qu’il fasse porter la responsabilité d’un éventuel échec au constructeur français, il n’y a qu’un pas…

« À partir de juin, ce sera de plus en plus difficile » et ce ne sera « pas possible » en juillet, a prévenu M. Hoke. En effet, à partir de ce moment, l’Allemagne sera en campagne électorale, ce qui fait qu’aucune décision ne pourra être prise avant la formation d’une nouvelle coalition gouvernementale, laquelle, en fonction du verdict des urnes, ne sera pas forcément gagnée à la cause du SCAF. Puis, en 2022, ce sera au tour de la France de préparer ses élections présidentielles et législatives.

Sur ce point, M. Trappier ne s’en laissera pas conter. « Il faut toujours se méfier quand on vous dit d’aller vite dans une négociation. Celui qui est pressé, c’est celui qui va perdre », avait-il dit lors de son audition au Sénat.

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