Pour le chef des forces américaines dans la région Indo-Pacifique, la Chine pourrait envahir Taïwan d’ici 2027

En août dernier, il fut rapporté que l’Armée populaire de libération [APL] venait de tirer plusieurs missiles balistiques DF-21D et DF-26B, présentés comme étant des « tueurs » de porte-avions, lors de manoeuvres navales organisées en mer de Chine méridionale.

Un « NOTAM » [message aux navigants] ayant été diffusé plus tôt par les autorités chinoises [sans donner de précision sur le type des engins qui allaient être lancés, ndlr], un avion de renseignement RC-135S « Cobra Ball », utilisé par l’US Air Force pour suivre la trajectoire des missiles balistiques, avait décollé de la base japonaise de Kadena pour suivre l’exercice de l’APL.

Tirés depuis endroits différents, les DF-26B [4.000 km de portée] et les DF-21D [1.800 km de portée] tombèrent dans une zone située entre la province de Hainan et les îles Parace, c’est à dire où deux porte-avions américains avaient navigué un mois plus tôt.

Lors d’une audition devant le comité sénatorial des forces armées, l’amiral Philip Davidson, qui dirige le commandement américain pour la région Indo-Pacifique [US INDOPACOM], a abordé ces tirs de missiles chinois, dont on ignore s’ils sont effectivement des « tueurs de porte-avions » dans la mesure où aucune image démontrant une telle capacité n’a été produite à ce jour par l’APL.

Pourtant, certains ont exprimé des doutes à ce sujet. Comme l’amiral Christophe Prazuck, l’ex-chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM]. « Mettre en avant un missile de nature balistique, qui volerait à une vitesse faramineuse et serait doté d’un autodirecteur me paraît étonnant du fait des phénomènes d’échauffement créés par de tels niveaux de vitesse » et « guider un objet qui irait à très grande vitesse vers une cible mouvante comme un bateau me paraît plutôt compliqué et, pour tout dire, je n’y crois pas », avait-il en effet expliqué.

Quoi qu’il en soit, l’amiral Davidson ne partage visiblement pas cette estimation. « Ces missiles balistiques anti-navires de moyenne portée sont capables d’attaquer des porte-avions dans le Pacifique occidental », a-t-il en effet dit aux sénateurs. Et leur utilisation lors d’un exercice « démontre la volonté de l’APL de contrer toute intervention potentielle de tiers pendant une crise régionale », a-t-il ajouté.

Pour l’amiral Davidson, la Chine « ne se contente pas de développer des systèmes d’armes avancées. Elle les utilise de plus en plus dans des exercices pour perfectionner l’aptitude au combat de l’APL et envoyer un message sans équivoque aux pays de la région et au monde » sur ses capacités militaires.

« Je crains que la Chine ne soit en train d’accélérer son projet de supplanter les États-Unis […] d’ici 2050 », a par ailleurs estimé le chef de l’US INDOPACOM. « Je crains qu’elle ne veuille atteindre son objectif plus tôt que prévu », a-t-il insisté.

Évidemment, on pense que Taïwan, pays considéré comme une province « rebelle » à Pékin, en fasse tôt ou tard les frais, d’autant plus que les dirigeants chinois ont multiplié les menaces ces erniers mois. Et pour l’amiral Davidson, ce serait plus tôt que tard…

« Il est clair que Taïwan fait partie de leurs ambitions et je pense que la menace est évidente dans la décennie qui vient, en fait au cours des six prochaines années », soit d’ici 2027 a-t-il ainsi déclaré.

L’officier américain n’a pas évoqué l’année 2027 au hasard étant donné qu’elle marquera le centenaire de l’APL. D’ailleurs, selon les objectifs affichés par Pékin, cette dernière devra avoir achevé son développement à cette échéance.

Un élément déclencheur pourrait sans doute être la bataille commerciale que se livrent la Chine, les États-Unis et les Européens au sujet des puces électroniques, dont les besoins ne cesseront de croître dans les années à venir, avec l’intelligence artificielle, la 5G, les nouvelles formes de mobilité, la robotique et… le développement d’armes toujours plus sophistiquées.

Or, Taïwan produit actuellement 59% des circuits sur mesure sous-traités en fonderie dans le monde et représente plus de la moitié du marché mondial des circuits intégrés les plus avancés, hors mémoires. Et l’île abrite notamment Taiwan Semiconductor Manufacturing Co. [TSMC], l’un des plus grands fabricants de puces au monde. Auteur d’une note sur cette question pour l’Institut Montaigne, Mathieu Duchâtel rappelle que, en 2015, la Chine a décidé de produire 70% des puces dont elle a besoin d’ici 2025.

« En 2019, la Chine a importé l’équivalent de 304 milliards de dollars de semi-conducteurs, soit plus que le pétrole et plus que l’ensemble des importations de son principal partenaire commercial, l’Union européenne. Dans le même temps, seuls 15,7% de sa demande ont été produits sur son sol. En d’autres termes, le plus grand marché de consommation de semi-conducteurs et de circuits intégrés au monde dépend de fournisseurs étrangers », explique-t-il.

Cela étant, sans doute plus que les missiles balistiques chinois « tueurs de porte-avions », l’amiral Davidson est surtout inquiet pour l’île de Guam, avec son port en eaux profondes, sa base aérienne ainsi que ses dépôts de carburant et de munitions. Elle est incontourble pour tout opération américaine en réponse à une crise régionale. Et il ne faut pas être un grand stratège pour en faire un objectif prioritaire. D’ailleurs, dans une vidéo de propagande, l’APL a montré des bombardiers stratégiques H6 en train de l’attaquer.

« Guam est une cible aujourd’hui. L’île doit être défendue et préparée pour les menaces à venir, parce qu’il est clair pour moi que Guam n’est plus simplement un endroit d’où nous pensons pouvoir nous battre », a fait valoir l’amiral Davidson devant les sénateurs. Aussi a-t-il demandé qu’il y soit installé un système antimissile AEGIS Ashore, le seul qui puisse contrer une attaque de missiles chinois, le système THAAD [Terminal High Altitude Area Defense], qui y est actuellement déployé, n’étant pas approprié à ses yeux.

« C’est l’élément clé qui nous manque, qui signale à la région que les États-Unis sont un partenaire de sécurité fiable et engagé, que nous sommes là pour défendre non seulement le territoire américain, mais aussi nos intérêts à l’étranger », a plaidé le chef de l’US INDOPACOM. Et, a-t-il continué, cela « montrerait à la Chine qu’elle ne peut pas assommer Guam d’un coup pour nous mettre hors de combat et pratiquer la politique du fait accompli à l’égard de Taïwan. » À noter qu’il avait déjà demandé l’installation d’un système AEGIS Ashore en juillet 2020, estimé son coût à 1,6 milliard de dollars.

Plus généralement, l’amiral Davidson avait précédemment souhaite 20 milliards de dollars de nouveaux investissements entre 2021 et 2026 pour améliorer les capacités relevant de son commandement. Lors de son audition, il a réclamé des amements plus « offensifs » pour que les Chinois sachent « que le coût de ce qu’ils essaient de faire est trop élevé et pour les faire douter de leurs chances de succès. »

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