L’Otan se penche sur les investissements de la Chine dans les infrastructures de transport en Europe

Tous les quatre ans, la Russie organise l’exercice Zapad dans son district militaire ouest et en Biélorussie. Mobilisant d’importants effectifs, il vise à préparer les forces russes et biélorusses à une guerre « totale » contre celles de l’Otan. Ainsi, lors des éditions 2009 et 2013, une attaque nucléaire avait été simulée contre la Pologne. Pour celle de 2017, l’accent avait été mis sur la guerre électronique et la cyverguerre.

En 2021, la surprise pourrait bien être une participation chinoise à cet exercice. En tout cas, l’hypothèse a été avancée dans le dernier rapport annuel [.pdf] du service de renseignement extérieur estonien, le Välisluureamet, lequel s’est aussi longuement intéressé aux activités de la Chine en Europe.

« Un autre aspect intéressant à regarder dans l’exercice Zapad 2021 est la participation éventuelle de la Chine pour la première fois », écrit en effet le service de renseignement estonien. Et de rappeler que « la Chine est conviée aux exercices stratégiques annuels de la Russie depuis Vostok 2018. » En tout cas, estime-t-il, si cette participation se confirme, alors ce sera « intéressant de voir comment les forces armées chinoises définissent leur rôle dans une opération militaire contre l’Otan. »

Cela étant, des exercices menés conjointement par les forces navales russes et chinoises ont déjà eu lieu en Europe, en particulier dans les régions de la Baltique [en 2017], de la Méditerranée et de la mer Noire. En 2018, le chef d’état-major de l’US Navy, qui était alors l’amiral John Richardson, avait même souligné que « l’activité navale chinoise dans l’Atlantique Nord créait une nouvelle dynamique. » Et d’ajouter : « Ils [les Chinois] sont certainement des compétiteurs pour nous en terme de menace navale. »

Dans le même temps, et alors qu’il est question de créer un « Schengen militaire » en Europe afin de faciliter les mouvements de troupes de l’Otan d’un pays à l’autre, certaines infrastructures [ports et aéroports] font l’objet d’une attentention d’investisseurs chinois, notamment dans le cadre des « nouvelles routes de la soie ».

Entre 2013 2019, indique Ugly, une place de marché dédiée au transport de fret, la Chine a acheté des parts dans 14 ports européens et signé des protocoles d’accord avec d’autres, via deux entreprises publiques, à savoir COSCO Shipping Ports, qui a investi dans 8 ports en Europe [5 en Méditerranée et 3 en mer du Nord] et China Merchants Port. Et cela peut avoir des conséquences sur la mobilité militaire.

Rappelant les investissements chinois dans les ports européens, le général allemand Jörg Vollmer, qui tient les rênes du Joint Forces Command [JFC] de Brunssum, a estimé que cette situation donne déjà lieu à des « risques de contrôle du flux de fret à divers degrés ». Aussi, lors d’un débat en ligne organisé le 3 mars par le Center for European Policy Analysis [CEPA], un centre de réflexions américain, il a demandé si l’on comprenait bien  » ce que cela signifie si, en temps de paix, nous avons besoin de ces ports pour déployer des troupes? ».

En attendant, selon Defense News, les responsables de l’Otan s’attachent à cartographier les investissements chinois dans les infrastructures de transport en Europe tout en s’efforçant de voir dans quelle mesure ils pourraient entraver la capacité de l’Alliance à déplacer rapidement des troupes en cas de conflit.

« Cet examen concerne les ports, les aéroports, les liaisons et les télécommunications à travers la zone euro-atlantique », a conflié l’un d’eux. D’autant plus que, souligne Defense News, il est actuellement difficile de savoir dans quelle mesure les infrastructures de transport appartenant à la Chine pourraient être utilisées contre les intérêts de l’Otan.

Co-auteur d’un rapport du CEPA sur la mobilité militaire [.pdf], Julian Lindley-French a suggéré de mettre en place des mécanismes permettant aux gouvernements européens de prendre le contrôle des infrastructures critiques en cas de crise. « Alors les Chinois ne pourraient rien faire d’autre que de faire sauter ces infrastructures, ce qu’ils ne feraient certainement pas », a-t-il dit.

Cela étant, avec les investissements réalisés dans le cadre des « nouvelles routes de la soie », Pékin dispose de moyens d’influence non négligeables… notamment à l’endroit des pays ayant connu des difficultés économiques. « La Chine a un objectif : infiltrer le bloc des pays occidentaux et séparer l’Europe des États-Unis. Pour ce faire, les Chinois commencent par les pays les plus faibles, comme l’Italie », estime ainsi Alberto Forcchielli, expert italien de l’économie et des affaires internationales [et de la Chine en particulier].

Le risque serait de voir apparaître des divergences politiques au sein de l’Otan, avec des pays plus favorables aux intérêts de la Chine.

« Les divergences politiques au sein de l’Otan représentent un danger car elles permettent à des acteurs extérieurs, et plus particulièrement à la Russie et à la Chine, de jouer sur les dissensions internes et de manœuvrer auprès de certains pays membres de l’Alliance de façon à compromettre la sécurité et les intérêts collectifs », a prévenu le groupe d’experts ayant récemment conduit une « réflexion prospective » concernant l’Alliance [.pdf]. Et ce dernier d’estimer : « Une éventuelle dérive vers la désunion de l’Otan doit être considérée comme un problème stratégique. »

Carte : Commission européenne

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