Un rapport propose de mieux sensibiliser le secteur financier aux enjeux industriels de la Défense

Il fut un temps où il était sans doute plus facile pour une entreprise du secteur de la défense de trouver des financements auprès des banques afin d’assurer son développement. Or, c’est de moins en moins vrai de nos jours.

Ainsi, selon les députés Jean-Louis Thiériot et Françoise Ballet-Blu, auteurs d’un rapport sur le financement de la base industrielle et technologique de défense [BITD], et au-delà de leur solidité financière ou de leur plan d’affaires, de jeunes entreprises se verraient même refuser une simple ouverture de compte auprès des établissements financiers au seul « motif de leur appartenance au secteur de la défense. » Un groupe pourtant bien établi comme peut l’être Arquus a même rencontré des difficultés – aujourd’hui résorbées – pour financer des projets d’exportation.

Cette situation avait été dénoncée par un rapport du Sénat, publié en juillet 2020. « Les banques ne jouent pas leur rôle économique et social de financement de l’activité économique » et « il convient d’insister sur le traitement particulièrement défavorable dont font l’objet les entreprises de la BITD », avaient dénoncé les sénateurs Pascal Allizard et Michel Boutant.

En octobre, le Délégué général pour l’armement, Joël Barre, parla de « frilosité bancaire » pour décrire l’attitude des banques à l’égard de la BITD françaises. Et le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres [GICAT] ainsi que son pendant pour le secteur naval, le GICAN, alertèrent le gouvernement sur cette situation.

« Depuis maintenant deux ans, notre industrie de défense est confrontée à un problème croissant : le système bancaire et financier français est de plus en plus réticent à accompagner nos entreprises du secteur de la défense tant pour leur développement qu’en soutien à l’exportation », avait ainsi affirmé le GICAT dans une note adressée au ministère de l’Economie et des Finances.

Parmi les causes de cette « frilosité bancaire », MM. Allizard et Boutant avaient pointé une « application extensive et dévoyée des règles de conformité réglementaire [compliance] » chez de nombreux établissements financiers français. Le rapport des députés Thiériot et Françoise Ballet-Blu dresse le même constat et en détaille les mécanismes.

« L’industrie de défense est pénalisée par le poids croissant de la ‘conformité' », devenue le « juge de paix du financement des exportations d’armement », écrivent les deux parlementaires. Et cette « surconformité » pratiquée par les banques seraient renforcée depuis la promulgation de la loi dite « Sapin 2 », en 2016.

Ainsi, dans le sillage de cette loi, les « financeurs ont ainsi renforcé leurs mécanismes internes de prévention de la corruption, afin de s’assurer de la conformité [‘compliance’] de leurs procédures et des
projets qu’ils financent aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur », ce qui fait que les « opérations de financement d’exportations de matériels militaires font l’objet de davantage
de demandes de précisions qu’auparavant et que dans d’autres secteurs », lit-on dans le rapport.

Et cela « s’explique notamment par le fait que nombre de dossiers d’exportation concernent des pays à faible sécurité financière et dans lesquels interviennent des agents rémunérés en tant qu’intermédiaires pour des services commerciaux à l’étranger, le tout présentant un fort niveau de risque de corruption. Et ce d’autant plus que le secteur de la défense hérite d’un lourd passif en la matière. »

En outre, ce renforcement de la « conformité » s’explique également par la « crainte de la mise en œuvre de mesures à portée extraterritoriale par nos compétiteurs stratégiques, au premier rang desquels les États-Unis », soulignent les députés.

Conséquence : les échanges entre les banques et les industriels se sont « complexifiés » sous le poids des procédures, avec, en prime, une intrusion des secondes « dans des dossiers souvent parés du sceau de la confidentialité. »

Si les grands groupes industriels ont les moyens de faire face à cette situation, ce n’est pas le cas des structures plus modestes, la « plongée dans l’univers de la conformité » étant, pour elles, un « long chemin de croix, rarement couronné de succès. »

Outre une application pouvant être jugée « excessive » des règles de conformité, les établissements financiers peuvent rechigner à financer des entreprises de la BITD pour des raisons… d’images, des ONG s’attaquant de plus en plus à la réputation des banques pour leurs investissements dans le domaine de la défense.

« Après avoir subi des attaques visant à atteindre leur réputation, d’importantes institutions financières pourraient être tentées de limiter leurs investissements dans le domaine de la défense afin de limiter leur exposition et les risques qui en découlent », affirme le rapport, qui souligne d’ailleurs que « l’ensemble des grandes banques françaises », ainsi que plusieurs fonds d’investissement, ont « développé des outils d’analyse du risque d’image. »

Qui plus est, les établissements financiers sont sous la pression de leurs actionnaires et clients, lesquels sont de « plus en plus attentifs aux actifs qu’ils jugent vertueux » non pas le plan purement financier mais en fonction de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance [ESG]. Les « fonds durables » connaissent ainsi un vrai engouement [croissance +70% de leurs encours depuis juin 2019] et même l’Assurance générale de prévoyance militaire [AGPM] y a cédé puisqu’elle s’est donnée l’objectif « d’atteindre un niveau de 50 % des actifs couverts par des analyses ESG. »

En outre, cette tendance est en quelque sorte encouragée par certains gouvernements dans la mesure où les établissements financiers « ajustent également leur stratégie aux orientations politiques fixées par les autorités publiques ». Comme le soulignent les députés, « en France comme ailleurs, l’heure est à la bascule vers les financements ‘verts’ ou socialement responsables », comme avec la création du label ISR, qui vise à « concilier performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises qui contribuent au développement durable dans tous les secteurs d’activité. »

Cela étant, et c’est d’ailleurs ce que mettent en avant les banques pour dire que l’on leur fait un « faux procès », le secteur de la défense « peut faire figure d’épouvantail pour des raisons structurelles », comme la forte dépendance à la commande publique [ce qui prête le flanc à un revirement politique], des cycles industriels qui s’inscrivent dans le temps long, l’influence de l’État dans la gouvernance de certaines entreprises ou encore la réglementation en matière d’investissements étrangers dans la BITD.

Pour autant, s’il y a effectivement des problèmes de financement et que la tendance observée a de quoi être préoccupante, la situation n’a pas encore atteint un point de non retour. D’après le rapport de M. Thiérot et Mme Ballet-Blu, on retrouve « toutes les grandes banques françaises parmi les 10 à 15 réellement actives dans le domaine de la défense au niveau mondial », ce qui fait que le secteur bancaire français « soutient la défense dans des proportions bien plus importantes » que ses homologues européens.

« Ce constat a, du reste, été confirmé par les représentants de la direction générale du Trésor, pour lesquels les grandes banques françaises ne semblent pas s’être structurellement désengagées du secteur de la défense, malgré quelques tensions pour l’heure circonscrites », avance le rapport. Cela va-t-il durer alors que la tendance inverse s’affirme en Europe?

Les deux députés ont donc formulé sept recommandations. La première est « d’améliorer la connaissance du monde de la défense par les banques et les investisseurs »… alors que peu d’établissements financiers « disposent d’un expert des questions de défense » alors même qu’il s’agit d’un secteur stratégique et doté d’une certaine sensibilité. »

Le parlementaire s’étonnent d’ailleurs d’une telle situation d’autant plus que « les banques ont toutes édité une politique sectorielle de défense. » Et de s’interroger « sur les connaissances de leurs auteurs en matière de défense »…

Sur ce point, l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale [IHEDN] aurait un grand rôle à jouer, via la mise en place de formations à destination des institutions bancaires, mais aussi des acteurs du capital-investissement. »

Enfin, les députés proposent de « rééquilibrer les relations entre la BITD et les banques », de « créer un médiateur du financement pour l’écosystème de défense », « d’accompagner la montée en compétence de la BITD face à l’évolution du cadre normatif », de « conforter le rôle de la puissance publique dans l’accompagnement de l’exportation », « d’attirer de nouvelles sources de financement » et de « renforcer les outils de protection de nos intérêts stratégiques. »

Photo : Ministère des Armées

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