La Turquie sollicite un cabinet de conseil américain pour tenter de réintégrer le programme F-35

Lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 19 février, la ministre des Armées, Florence Parly, n’a pas pris de gants pour dénoncer les « stratégies de domination globale développées par la Chine et la Russie » et « l’enhardissement de puissances régionales » qui « viennent remettre en cause nos valeurs démocratiques en faisant fi du droit international. »

Et de citer la Turquie, avec sa « politique extérieure agressive qui n’hésite plus à s’imposer par la force et par le fait accompli, en Méditerranée comme en Libye où elle viole l’embargo sur les armes, ou bien encore dans le Caucase où elle a apporté un appui décisif à l’Azerbaïdjan face à l’Arménie en engageant notamment des miliciens venus de Syrie et dont certains arrivaient directement de Libye. »

Lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Otan, en décembre, le chef de la diplomatie américaine, qui était alors Mike Pompeo, avait dit peu ou prou la même chose, en y ajoutant l’achat de systèmes russes de défense aérienne S-400 par Ankara, y voyant un « cadeau » fait à la Russie par la Turquie. Ce qui valut d’ailleurs à cette dernière d’être exclue du programme d’avion de combat F-35 ainsi que des sanctions prises par Washington à l’égard du SSB, son agence de l’armement.

Après la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avait dit espérer trouver une solution à ce dossier, crucial pour l’avenir des forces aériennes turques, qui voient leurs homologues grecques gagner en capacité avec l’achat de Rafale et le passage au standard « Viper » de leurs F-16.

« Les F-35 n’ont pas été livrés [100 exemplaires ont été commandés par Ankara, ndlr] bien que nous ayons versé une somme conséquente. C’est une erreur grave de la part des États-Unis en tant que pays allié. J’espère qu’avec l’investiture de M. Biden, nous pourrons avoir des pourparlers et arriver à des résultats positifs », avait en effet déclaré M. Erdogan, le 15 janvier dernier.

Cela étant, si le président turc n’a pas encore eu l’occasion d’avoir un échange avec le nouveau locataire de la Maison Blanche, des contacts ont eu lieu à d’autres niveaux. Début février, après un entretien avec le porte-parole de M. Erdogan, Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale de M. Biden, a parlé d’établir une relation « plus constructive » entre les États-Unis et la Turquie, en réglant « plus efficacement » les désaccords en adoptant une « nouvelle approche ».

Plus récemment, le successeur de M. Pompeo à la tête de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a réaffirmé « l’importance de la relation bilatérale » entre les États-Unis et la Turquie tout en disant se réjouir de « la poursuite de la coopération en Syrie, de la lutte contre le terrorisme et des efforts de désescalade en Méditerranée orientale ». Et cela, alors qu’il venait de s’entretenir avec Mevlut Cavusoglu, son homologue turc, après de vives critiques adressées par M.Erdogan à l’encontre de Washington au sujet de ses relations avec les Kurdes.

Ayant eu, plus tôt, le même jour, un échange avec Nikos Dendias, le ministre grec des Affaires étrangères, M. Blinken n’avait pas évoqué « l’importance de la relation bilatérale » avec la Grèce, se contentant de réaffirmer l’engagement des États-Unis à la « renforcer ».

Quoi qu’il en soit, afin de trouver une issue au dossier des F-35A, la Turquie a mandaté le cabinet de conseil Arnold&Porter Kaye Scholer, très en vue à Washington, pour tenter de faire fléchir l’administration Biden, voire certains membres du Congrès.

Ainsi, selon un document transmis à la justice américaine, Arnold&Porter Kaye Scholer prévient qu’il a signé un contrat de 700.000 euros pour « fournir des conseils sur la stratégie […] à suivre pour rester au sein du programme [F-35] en prenant en compte la situation géopolitique complexe et les facteurs économiques. » En clair, il s’agit ni plus ni moins que de faire du « lobbying ».

Le choix du cabinet Arnold&Porter Kaye Scholer n’est évidemment pas dû au hasard. Outre sa renommée, il est très proche du Parti démocrate américain. Selon l’oganisme non partisan « Center for Responsive Politics » [CRP], il a ainsi versé plus de 1,6 million de dollars à des candidats démocrates en 2020, dont 391.900 dollars à la campagne de Joe Biden. Un goutte d’eau, certes, sur le milliard récoltés par cette dernière… En 2016, il en avait fait de même avec Hillary Clinton.

Cela étant, Ankara a peut-être une carte à jouer. En effet, il est récemment apparu que le moteur F135 du F-35A s’use prématurément, notamment au niveau du revêtement des aubes de turbine. Ce qui fait craindre à l’US Air Force une pénurie de réacteurs d’ici 2025.

Or, selon les données du Pentagone, l’industrie turque fournit 188 des 3.000 pièces qui constituent le moteur d’un F-35A. Et ce devrait être encore le cas d’ici 2022…

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