SCAF : Pour le Pdg de Dassault, le « but n’est pas simplement de se partager le travail mais d’être efficace »

Outre-Rhin, dès que le montant d’un investissement public est supérieur à 25 millions d’euros, le Bundestag [chambre basse du Parlement allemand, ndlr] a systématiquement son mot à dire. Ce qui pourrait être comme un contrainte constitue un moyen de pression pour Berlin, comme on peut le voir avec les programmes de Système de combat aérien du futur [SCAF] et de char de combat du futur [MGCS], menés en coopération avec la France.

S’agissant plus particulièrement du SCAF, qui repose sur un avion de combat appelé « New Generation Fighter », il avait été décidé que la France conduirait le programme, selon la formule du « meilleur athlète ». Et comme il s’agit d’un projet comportant plusieurs phases nécessitant, à chaque fois, des investissements conséquents, le Bundestag peut, à tout moment, le bloquer s’il estime que les intérêts allemands ne sont pas suffisamment pris en compte.

D’où les difficultés que rencontre à nouveau ce programme, la partie allemande estimant qu’une part trop belle est faite à son homologue française. Mieux même : il est prêté à Berlin le souhait de mettre la main sur certaines technologies développées par les industriels français [à commencer par Dassault Aviation]. Pas question d’avoir des « boîtes noires » technologiques sur lesquelles « on ne pourrait pas avoir accès », a même prévenu le général Ingo Gerhartz, le chef d’état-major de la Luftwaffe.

Ainsi, après avoir accepté de financer la phase 1A du programme, les députés allemands ont la possibilité de bloquer toute nouvelle évolution s’ils estiment que le compte n’y est pas. C’est d’ailleurs le message qu’a fait passer Angela Merkel, la chancelière allemande, à l’issue d’un conseil de défense franco-allemand, le 5 février dernier.

Le SCAF « fait l’objet de débats entre les ministres de la Défense. Il s’agit du partage des tâches et du leadership. Là, on a rouvert le sujet de la répartition et de la poursuite des travaux. Nous avons demandé aux ministres […] de créer très rapidement les conditions qui permettront de faire passer le dossier devant le comité des affaires budgétaires du Bundestag », a en effet affirmé Mme Merkel.

Et d’ajouter : « Vous savez que c’est un projet sous leadership français mais il fait quand même que les partenaires allemands puissent être à un niveau satisfaisant face à leurs homologues [français]. Nous devons donc voir très précisément les questions de propriété industrielle, de partage des tâches et de partage de leadership. »

Quoi qu’il en soit, le Pdg de Dassault Aviation, Éric Trappier, a répondu à la chancelière allemande lors d’un entretien donné au Journal de l’Aviation. « Le SCAF et le NGF répondent […] à l’ambition politique de donner à l’Europe une certaine autonomie stratégique, et dans l’autonomie stratégique, l’industrie joue son rôle. La France le fait depuis longtemps mais tous les autres pays d’Europe ne le font pas », a-t-il commencé par relever.

Ensuite, a expliqué M. Trappier, « on ne fait pas un avion de combat simplement pour faire plaisir à trois pays [en l’occurrence, la France, l’Allemagne et l’Espagne, qui a rejoint le programme SCAF, ndlr]. On fait des avions de combat pour répondre à des besoins opérationnels, pas faciles à évaluer, du futur, dans un monde qui est de plus en plus dangereux. Par conséquent, il faut faire un avion de combat qui soit de plus en plus performant », c’est à dire qui « va être le premier à détecter l’ennemi et le dernier à être détecté. »

Ce qui suppose, a pourvuivi le Pdg de Dassault Aviation, de développer des « technologies de furtivité et de manoeuvrabilité pour dominer l’espace aérien » et des « capacités d’emport intégrées pour préserver la discrétion et être capable de rester dans des zones dangereuses, défendues par des systèmes d’armes sol-air de plus en plus sophistiqués comme on peut en voir fleurir un petit peu partout. »

Sur ces technologies, Dassault Aviation a évidemment quelques arguments à faire valoir… notamment avec le démonstrateur de drones de combat nEUROn, qui, mis au point dans le cadre d’une coopération européenne [avec la Suisse, la Suède, l’Italie, la Grèce et l’Espagne, l’Allemagne étant absente, ndlr] qu’il a dirigée, affiche d’excellentes performances en matière de furtivité…

Justement, ce modèle de coopération est celui que ne cesse de promouvoir Dassault Aviation. Ainsi, a fait valoir M. Trappier, la priorité étant de satisfaire les ambitions opérationnelles, « il faut que l’équipe de coopération ait en tête que le but n’est pas simplement de se partager le travail mais d’être efficace. »

Et pour cela, a-t-il continué, il « faut un maître d’ouvrage qui […] représente les intérêts des opérationnels » et un maître d’ouvre industriel et technique qui va vraiment porter la performance de l’avion » tout en veillant à ce que le « programme soit tenu en termes de délais et de coûts. » S’agissant du SCAF, ce rôle est revenu à Dassault Aviation…

Reste qu’un tel maître d’oeuvre doit aussi être capable de coopérer. C’est à dire, a dit M. Trappier, « être capable de donner du travail aux pays coopérants, à bon niveau pour que celui qui côtise ait un bon retour industriel, qui ne soit pas forcément du ‘geo-return’ [axé sur le ‘ »retour géographique’] comme on le dit puisqu’on a vu que ce type de méthode n’est pas forcément compatible avec l’efficacité. »

En clair, pour le Pdg de Dassault Aviation, s’il faut évidemment veiller à ce qu’il y ait des retours industriels pour les pays participants, il ne faut pas rigide en la matière. « Il ne faut pas sacrifier la coopération à un partage des tâches à ce point équilibré au millimètre près », a-t-il conclu. Reste à voir ce que l’on en pensera outre-Rhin.

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