La ministre des Armées accuse la Turquie et la Russie de chercher à discréditer les forces françaises au Sahel

Lors de la présentation des capacités des forces qu’il commande, en octobre dernier, le général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], avait expliqué que « la vraie rupture se trouve dans le champ informationnel » car « avec quelques tweets ou quelques images, un État ou un groupement peuvent créer du discrédit dans un monde où l’émotion devient prépondérante. »

Et le CEMAT d’ajouter : « Sachons répondre aux stratégies indirectes. Réinvestissons des champs que nous avons délaissés : la ruse, la déception ou la désinformation. »

Peu avant de quitter ses fonctions pour le monde civil, son prédécesseur, le général Jean-Pierre Bosser, avait justement déploré le fait que les forces françaises avaient « un peu oublié les actions de déception », lesquelles consistent à tromper l’adversaire afin de le faire réagir dans le sens que l’on souhaite ou à le déconsidérer. En Russie, on appelle cela la « maskirovka », qui est toujours appliquée.

Quelques mois plus tôt, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général François Lecointre, avait indiqué qu’une nouvelle doctrine de « lutte informationnelle dans le cyberespace » était en cours d’élaboration, afin de mieux « lutter contre les tentatives de déstabilisation de l’information sur notre espace. »

Si les armées françaises avaient délaissé le champ informationnel, ce dernier s’est rappelé à elles, comme en Centrafrique et au Sahel, où, ces derniers mois, on a pu constater une inflation de fausses informations [infox] les concernant. Répété mille fois, un mensonge ne deviendra jamais une vérité mais il convaincra ceux qui ne demandent qu’à l’être ainsi que les plus crédules. D’où la difficulté à contrer les campagnes de désinformations, notamment via les réseaux sociaux [qui ne sont pas les seuls vecteurs, les médias pouvant également se faire manipuler ou être utilisés à dessein].

Devant les députés, le 12 janvier, la ministre des Armées, Florence Parly a évoqué le sujet. Et, comme le président Macron l’avait fait auparavant, elle a désigné les pays qui sont à la manoeuvre au Sahel.

« Il est clair que le Sahel est, comme beaucoup d’autres régions dans le monde et de zones de crise, un enjeu d’influence entre les grandes puissances. Alors certains de ces acteurs, dont il faut souligner qu’ils n’y sont pas engagés militairement, cherchent néanmoins à nous concurrencer », a d’abord relevé la ministre. « Et c’est dans le domaine informationnel que nous voyons se développer cette compétition », a-t-elle continué.

« Pour citer quelques pays, il y a évidemment la Turquie et il y a la Russie », a enchaîné Mme Parly. « L’une comme l’autre cherchent à s’imposer, s’infiltrer dans les interstices et toujours à nous discréditer », a-t-elle dénoncé.

Au Sahel, la Russie vise à regagner l’influence qu’elle avait au Mali du temps de l’Union soviétique. Même chose pour la Turquie, qui a récemment assuré qu’elle se tiendrait toujours « aux côtés du peuple malien pour rétablir l’ordre constitutionnel » tout apportant à Bamako son soutien « dans la lutte contre le terrorisme. »

Quoi qu’il en soit, « il faut vraiment avoir conscience que le champ informationnel est devenu un champ de confrontation […] à part entière. Il faut y être présent et nous nous y employons », a dit la ministre.

Certes, le ministère des Armées s’y emploie… Mais pas toujours avec succès, comme l’a montré la récente fermeture par Facebook de trois réseaux de faux profils utilisés pour des opérations d’influence. Deux étaient russes… et le troisième était français.

Sans doute que la suppression de ces faux profils utilisés à des fins de contre-propagande par les forces françaises a empêché de réagir immédiatement aux allégations concernant le bombardement présumé d’un mariage ayant eu lieu dans la localité de Bounti [centre du Mali] par un hélicoptère inconnu. Du moins, c’est ce qu’ont affirmé des témoins interrogés par la presse. Dès que cette affaire a pris de l’ampleur sur les réseaux sociaux, la force Barkhane n’a pas manqué d’être mise sur le banc des accusés, d’autant plus qu’elle a effectué des frappes dans le même secteur, contre un groupe armé terroriste [GAT] relevant de la katiba Serma, affilié au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM/JNIM], lui-même lié à al-Qaïda.

Et la mise en accusation a été d’autant plus rapide qu’aucun élément, hormis les témoignages, n’est pourtant venu la corroborer.

Devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale, Mme Parly a répété que la frappe en question « était dirigée contre un groupe armé terroriste […] affilié à al-Qaïda » et qu’il n’y pas eu de « de dommage collatéral observé. » Et d’insister : « On a entendu parler d’un mariage : il n’y a pas eu de rassemblement festif à l’endroit où la frappe est intervenue » et « je récuse absolument l’idée que les armées aient pu le 3 janvier occasionner ce dont elles ont été accusées. »

Aussi, la ministre a-t-elle dénoncé des « rumeurs », qui ont été « fort nombreuses sur les réseaux sociaux ». Ont-elles été diffusés par les jihadistes afin de manipuler l’opinion publique? Mme Parly ne l’a pas dit explicitement.

« Nous savons qu’il existe une sorte de guerre informationnelle » et « il n’est pas totalement innocent que cette sortie médiatique intervienne à un moment où » le GSIM « a communiqué pour expliquer qu’il était temps que les armées françaises quittent le Sahel. Il n’est pas tout à fait anodin que nous ayons pu lire qu’il pouvait s’agir d’une bavure », a affirmé la ministre.

Photo : ministère des Armées

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