Mali : Pour l’État-major des armées, les allégations sur la frappe réalisée près de Bounti relèvent de la désinformation

Le 3 janvier, l’association culturelle peule Tabital Pulakuu a affirmé qu’une frappe aérienne venait de viser un mariage organisé dans la localité de Bounti, située dans la région de Douentza. Et de faire état de la mort d’une « vingtaine de civils au moins ». Les commentaires sur les réseaux sociaux ont accusé la force Barkhane d’en être à l’origine. Et certains titres de presse ont évoqué une possible « bavure ».

Des habitants de Bounti, sollicités par l’AFP, ont par la suite confirmé les propos de l’association Tabital Pulakuu… mais en affirmant que la frappe avait été réalisée entre 14 et 15 heures, par un hélicoptère volant à très basse altitude. Un bilan de 19 tués a été avancé.

Puis une photographie montrant des corps alignés et présentés comme étant ceux des victimes du raid présumé a été diffusée via les réseaux sociaux. Partagée plusieurs centaine de fois et reprise en une par un quotidien malien, il s’est avéré que le cliché en question avait été pris au Nigeria, après un massacre commis par le groupe jihadiste Boko Haram en 2014.

Par la suite, l’ONG « Médecins sans frontière », très active dans la région de Douentza, affirmera avoir pris en charge « huit blessés graves suite à des bombardements sur les villages de Bounty et Kikara ». Et d’évoquer des « patients [qui] présentaient des blessures par balles et des lésions dues à des explosions. »

L’État-major des armées [EMA] a admis, auprès de l’AFP, qu’une frappe aérienne, réalisée par une patrouille de Mirage 2000, avait bien eu lieu le 3 janvier, dans la région de Douentza, contre un rassemblement jihadiste repéré lors d’une manoeuvre de renseignement ayant duré plusieurs jours.

« Il ne peut y avoir de doutes et d’ambiguïté, il n’y avait pas de mariage. C’est une frappe menée après un processus particulièrement formel et multipartite sur un groupe armé terroriste pleinement identifié, après un recoupement d’informations, des attitudes, une posture, sur une zone caractérisée », a expliqué un officier français.

Contrairement à ce qui pu être dit sur les réseaux sociaux par certains, l’EMA ne communique pas toujours immédiatement après une frappe. Il le fait généralement quelques jours après, comme cela a été le cas lors de l’action menée Boulikessi contre le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM/JNIM ou encore RVSIM] : conduite le 30 octobre, son résultat a fait l’objet d’une communication quatre jours plus tard. D’ailleurs, les résultats des actions conduites sont le plus souvent annoncés dans le compte-rendu hebdomadaire des opérations.

Quoi qu’il en soit, du côté des autorités maliennes, il aura fallu attendre le 7 janvier pour avoir une première réaction officielle, via un communiqué publié par le ministère de la Défense et des Anciens combattants. On y apprend qu’une opération, appelée « Eclipse », était en cours dans le secteur de Douentza, contre la katiba « Serma ». Le texte décrit un regroupement d’une « cinquantaine d’individus », ne comprenant « ni femmes, ni enfants », « observé vers 11 heures ».

« Aux environs de 13 heures, ces éléments de la katiba Serma, vêtus de la même façon, ont formé trois groupes. Ce regroupement de combattants, principaux auteurs d’attaques et de poses d’engins explosifs improvisé sur la RN 16, a été qualifié d’objectif militaire et l’intervention aérienne sollicitée par le Poste de commandement conjoint », affirme le texte. Ce dernier précise que « la frappe a été réalisée par un Mirage 2000 et une « trentaine » de jihadistes ont été « neutralisés », selon les « images de la mission d’observation et de surveillance ».

Puis, le communiqué malien indique que, vers 17 heures, un « groupe de villageois et d’hommes armés en véhicule pick-up et motos sont arrivés sur le site et ont procédé à l’inhumation des morts » et que les « rescapés ont occupé les hauteurs avec des jumelles et postes talkie-walkie. » Enfin, il est catégorique : « L’environnement observé n’a montré ni scène de mariage, ni enfants ou femmes ».

Quelques heures plus tard, à Paris, l’EMA a publié à son tour un communiqué au sujet de cette frappe. Communiqué qui a repris les éléments déjà donnés à l’AFP pour mieux les préciser.

« Dans cette zone, plus d’une heure avant la frappe, un drone Reaper a détecté une moto avec 2 individus au nord de la RN16. Le véhicule a rejoint un groupe d’une quarantaine d’hommes adultes dans une zone isolée. L’ensemble des éléments renseignement et temps réel ont alors permis de caractériser et d’identifier formellement ce groupe comme appartenant à un GAT [groupe armé terroriste, ndlr]. L’observation de la zone pendant plus d’une heure et demie a également permis d’exclure la présence de femmes ou d’enfants », assure l’EMA.

« Compte tenu du comportement des individus, des matériels identifiés ainsi que du recoupement des renseignements collectés, il a été ordonné à une patrouille d’avions de chasse – alors en vol – de procéder à une frappe ciblée à 15h00 locale », ajoute-t-il.

Quant à l’endroit où a eu lieu cette frappe, l’EMA donne la position 30 PWB 4436 83140, située à « plus d’un kilomètre au nord des premières habitations de Bounti ». Il s’agit d’un « espace ouvert et semi-boisé », précise-t-il, avant de donner le bilan d’une trentaine de jihadistes « neutralisés ». Et d’insister : « Les éléments disponibles, qu’il s’agisse de l’analyse de la zone avant et après la frappe, comme de la robustesse du processus de ciblage, permettent d’exclure la possibilité d’un dommage collatéral. »

Aussi, assurant que cette frappe a été réalisée « conformément aux principes de ciblage en vigueur, dans la stricte application du droit des conflits armés » et qu’aucun hélicoptère de Barkhane n’a été engagé à un quelconque moment de cette séquence, l’EMA affirme que les allégations concernant cette opération « relèvent de la désinformation. »

En attendant, le ministère malien de la Défense a indiqué avoir ouvert une enquête « pour mieux comprendre ce qui s’est passé » à Bounti [et sans doute pour vérifier la réalité des témoignages qui y ont été recueillis]. Même chose du côté de la Mission des Nations unies au Mali [MINUSMA], dont la division division des droits de l’Homme de la Minusma a lancé une enquête.

Photo : Illustration – Mirage 2000D © EMA

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