Futur porte-avions : La reprise des Chantiers de l’Atlantique par Fincantieri est à deux doigts de tomber à l’eau

En 2017, leur actionnaire sud-coréen STX Offshore and Shipbuilding ayant été placé en redressement judiciaire, les Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire [ex-STX France] devaient assez rapidement être repris par le constructeur naval italien Fincantieri, à la faveur d’un accord passé par le gouvernement français d’alors.

Dans le détail, 48% du capital des Chantiers de l’Atlantique allaient revenir à Fincantieri tandis qu’il était prévu que l’État français restât actionnaire à hauteur de 33%. Le tour de table devait être complété par Naval Group [environ 12% des parts] et la Fundazione CR Trieste. Mais, avec l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, l’accord dut être renégocié. En cause? Même si l’État disposait d’un droit de veto, la proximité du groupe italien avec le constructeur naval chinois CSSC aurait pesé dans cette décision.

Le temps de trouver une nouvelle solution, le gouvernement décida de nationaliser les Chantiers de l’Atlantique pour 80 millions d’euros. Un compromis avec la partie italienne fut trouvé en septembre 2017. Ainsi, Fincantieri devait détenir 50% des parts, auxquelles s’ajouterait 1% prêté par l’État français pendant 12 ans [et susceptible d’être repris en cas de manquement aux engagements pris l’industriel transalpin]. Le tout assorti d’un accord de coopération dans le naval militaire.

Pour Paris, ce montage donnait l’assurance que Fincantieri n’allait pas chercher à démanteler les Chantiers de l’Atlantique et à s’accaparer ses savoir-faire aux dépens des intérêts français.

Car, pour le ministère des Armées, le chantier naval de Saint-Nazaire a une importance stratégique étant donné qu’il est actuellement le seul en France à pouvoir accueillir des coques aussi imposantes que celle d’un porte-avions ou d’un porte-hélicoptères amphibie [PHA]. D’ailleurs, les Chantiers de l’Atlantique auront un rôle de premier à tenir dans la construction du porte-avions de nouvelle génération [PA-NG], un navire de 70.000 tonnes dont le mode de propulsion nuclaire a récemment été confirmé par le président Macron.

Après s’être mis d’accord avec Fincantieri, le gouvernement français se joignit à son homologue allemand pour saisir la Commission européenne sur cette affaire. La reprise des Chantiers de l’Atlantique intéressait alors Berlin étant donné que cette opération était susceptible d’isoler le groupe Meyer Werft, qui est l’un des trois constructeurs européens de navires de croisière.

En Italie, l’attitude de Paris ne manqua pas de susciter des critiques… le Premier ministre transalpin, Giuseppe Conte, ayant dénoncé un comportement « ambigu » et « peu compréhensible » alors que, dans le même temps, la coopération entre Naval Group et Fincantieri dans le domaine militaire, avec la création de la co-entreprise Naviris, allait alors rapidement se concrétiser.

L’explication de la décision française est à chercher dans un rapport que le Sénat a publié en octobre dernier.

« La différence d’approche vis-à-vis de Naval Group d’une part, et des Chantiers de l’Atlantique de l’autre, interroge. Alors qu’un modèle paritaire de joint-venture, c’est-à-dire de coopération ponctuelle, est retenu pour Naval Group, l’État français consent la prise de contrôle des Chantiers de l’Atlantique par son concurrent Fincantieri, par une cession de la majorité de l’actionnariat », lit-on dans le document.

« Au vu de l’importance des deux constructeurs français pour la défense française et la souveraineté industrielle du pays, une cession est-elle assez protectrice ? L’État aurait-il sacrifié l’indépendance des Chantiers de l’Atlantique, afin que son partenaire italien consente au projet de Naviris soutenu par Naval Group ? Ces questions sont d’autant plus saillantes que Naval Group est désormais l’un des actionnaires minoritaires des Chantiers de l’Atlantique », ont écrit les rapporteurs.

Et ces derniers d’ajouter : « La volonté de développer la coopération navale franco-italienne, si elle s’inscrit dans un objectif louable de souveraineté militaire et industrielle européenne, ne doit pas pour autant conduire à négliger l’avenir des Chantiers de l’Atlantique, ni à le brader au profit d’un accord global. […] Dès lors qu’une cession est privilégiée à une coopération sous forme de joint-venture, il faut s’assurer que tous les garde-fous sont mis en place pour protéger ces technologies critiques et cet atout stratégique pour la France. »

Quoi qu’il en soit, selon les termes de l’accord, la reprise des Chantiers de l’Atlantique par Fincantieri doit être finalisée d’ici le 31 décembre. Or, pour cela, l’industriel italien aurait dû livrer à la Commission européenne les informations que cette dernière lui réclame pour les besoins de son enquête sur l’impact que cette opération pourrait avoir sur la concurrence. À deux jours du délai, l’exécutif européen n’a toujours rien reçu…

Sauf rebondissement de dernière minute [qui se traduit par un nouveau délai…], il faudra donc chercher une autre solution pour les Chantiers de l’Atlantique. Le rapport du Sénat en a identifié plusieurs : forte implication de l’État, investissement d’un acteur privé pouvant même être « dépourvu de lien direct avec le secteur de la construction navale, mais conscient de leur fort potentiel de développement et du caractère stratégique de leur activité », recours à un « capitalisme territorial » mobilisant les sous-traitants et les salariés, appel aux collectivités locales, etc…

Photo : © Cédric Quillévéré — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

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