Général Conruyt : le GSIM, lié à al-Qaïda, est désormais « l’ennemi le plus dangereux » pour Barkhane
En 2019, alors qu’il passait pour être affaibli, l’État islamique au grand Sahara [EIGS] revendiqua plusieurs attaques particulièrement meutrières dans le Liptako-Gourma, c’est à dire la région des trois frontières, car située aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger.
En fin d’année, l’organisation jihadiste intensifia ses actions. En novembre, il s’en prit à la garnison d’Indelimane, au Mali [49 tués], puis, un mois plus tard, à celle d’Inatès au Niger [71 tués]. Puis il massacra une trentaine de civils à Arbinda, au Burkina Faso. Et l’année 2020 commença sur la même dynamique, avec l’attaque contre le poste militaire nigérien de Chinégodar, le 9 janvier 2020 [89 tués].
Au total, entre octobre 2019 et janvier 2020, les seules forces de défense et sécurité maliennes perdirent 400 des leurs… Et, après chaque attaque de garnison, l’EIGS augmentait ses capacités offensives en récupérant armes, munitions et autres ressources.
D’où les mesures prises à la faveur du sommet ayant réuni à Pau, le 13 janvier, la France et les membres du G5 Sahel [Mauritanie, Burkina Faso, Tchad, Mali, Niger]. Ainsi, il fut décidé de porter l’effort sur l’EIGS en se concentrant sur le Liptako-Gourma, d’améliorer la circulation du renseignement entre la Force conjointe du G5 Sahel [FC-G5S], les armées locales et Barkhane, et de renforcer la présence militaire française au Sahel avec l’envoi de 600 militaires supplémentaires.
Dans le même temps, la rivalité entre l’EIGS et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM, désigné « RVIM » par l’État-major des armées], lié à al-Qaïda, atteignit un point de non retour, alors que jusque-là, les deux formations jihadistes évitaient de s’affronter sur le terrain.
Quoi qu’il en soit, grâce aux décisions prises à Pau et aux efforts de Barkhane et des forces partenaires dans le Liptako-Gourma, l’EIGS n’aura pas été en mesure, cette année, de lancer des attaques de la même ampleur que celles qu’il avait revendiquées en 2019.
« L’année 2020 est marquée par une diminution significative de la menace représentée par l’EIGS. Nous avons réduit ses capacités, après les attaques de 2019 […]. En 2020, il n’a mené aucune attaque complexe ni gagné aucune zone. Un élan et un inversement de tendance significatifs sont à mettre à l’actif des combattants locaux engagés dans Bourrasque [opération de « synthèse » menée en octobre, ndlr], qu’il s’agisse des forces armées maliennes ou des quelque 1.100 Nigériens venus en appui de Barkhane », a ainsi résumé le général Stéphane Mille, sous-chef « Opérations » à l’État-major des armées, lors d’une récente audition à l’Assemblée nationale [le compte-rendu vient d’en être publié, ndlr].
Pour autant, la menace qu’incarne l’EIGS n’est « pas éradiquée », a mis en garde le général Mille. « Concernant les perspectives et les enjeux à court et moyen termes, l’EIGS est diminué, mais la zone n’est pas encore sécurisée. Nous devons continuer à agir de façon dissuasive, pas nécessairement Barkhane en tant que telle, mais aussi toutes les autres forces nationales ou internationales capables de consolider les gains réalisés », a-t-il insisté.
Également invité à s’exprimer devant les députés, le commandant de la force Barkhane, le général Marc Conruyt, partage ce constat. L’EIGS « a été affaibli dans le Liptako malo-nigérien, même s’il convient de garder une forme de prudence sur l’évaluation que nous faisons de cet ennemi. » Cependant, a-t-il continué, « si celui-ci conserve une capacité de nuisance et de régénération, il semble davantage à la portée des forces partenaires sahéliennes. »
En outre, a expliqué le général Conruyt, les « capacités actuelles » de l’EIGS « ne lui permettent plus d’envisager la prise de postes avancés comme en 2019 » et « s’il cherche toujours à se développer, c’est plus lentement, en reconstituant ses réseaux de racket et en visant les cadres de l’État ou les chefs locaux pour prendre l’ascendant sur les populations. »
S’agissant de l’EIGS, la prudence est donc de mise pour Barkhane. Mais ses effectifs ne lui permettant pas d’agir sur tous les « points chauds » du Sahel comme l’a souligné le général Conruyt [« notre dispositif représente un peu plus de 5.000 hommes, c’est-à-dire autant que ce que nous avions engagé dans la seule Côte-d’Ivoire en 2005 : c’est dire l’importance du défi qui est le nôtre », a-t-il dit], le GSIM semble avoir été plutôt épargné par les opérations menées durant ces derniers mois. Encore que, lors de Bourrasque, cette organisation a perdu plusieurs dizaines de combattants dans la région de Boulikessi ainsi qu’ Ali Maychou, l’un de ses plus influents cadres. Et que le chef d’al-Qaïda au Maghreb islamique, avec lequel elle était lié, a été éliminé lors d’un raid français, en juin.
L’EIGS et le RVIM [ou GSIM] sont « l’objet de la même attention en termes de renseignement, de ciblage et d’opérations », a assuré le commandant de la force Barkhane. D’autant que, comme l’a souligné le général Mille, « l’une et l’autre organisation sont aussi dangereuses dès lors qu’elles sont dans une phase d’expansion. »
Cependant, l’EIGS étant désormais amoindri, le GSIM/RVIM, qui réunit plusieurs formations jihadistes, fait désormais figure « d’ennemi le plus dangereux pour la force Barkhane » ainsi que pour « les forces internationales et le Mali », a avancé le général Conruyt.
Cherchant à étendre son influence, le GSIM/RVIM « consolide son organisation et gagne en confiance », a-t-il ajouté. « Non seulement il déstabilise les périphéries du nord du Mali, mais il a en outre porté la guerre au centre, qui est le cœur économique et le bassin de population du pays. À partir de là, il cherche à progresser vers le bassin côtier de l’Afrique de l’Ouest », a poursuivi le chef de Barkhane.
« Soyons clairs : cet ennemi nous cible au Sahel et le ferait probablement en France s’il en avait l’occasion. Cet ennemi est rusé, agile, capable à la fois d’une vision et de coups tactiques. Il dispose de compétences critiques et d’une expérience acquise sur le long cours. Prospérant sur la misère, l’endoctrinement, l’absence d’alternative sociale ou économique, de manière plus insidieuse et patiente que l’EIGS, il cherche à établir son propre mode de gouvernement. Il s’appuie pour cela sur les tensions communautaires existantes en attirant à lui les exclus, les relégués, les menacés, bref, ceux que l’État ne peut protéger ou aider », a décrit le général Conruyt.
Qui plus est, le GSIM/RVIM a la « capacité à se réinventer », a-t-il aussi fait observer. « Cet agrégat de mouvements différents a été capable de se structurer autour d’une stratégie, d’une vision, d’une communication communes. Cette stratégie définie par le cercle dirigeant se diffuse rapidement sur le terrain et est mise en œuvre par les groupes locaux : on voit se constituer des émirats, c’est-à-dire des échelons intermédiaires de commandement qui permettent à ces groupes de se structurer et de se coordonner », a-t-il expliqué.
Par ailleurs, et alors que des voix se font entendre pour appeler au dialogue avec certaines formations jihadistes, le général Conruyt a été clair. « N’oublions pas que l’argument du dialogue fait dans une certaine mesure partie du modus operandi d’al-Qaïda : c’est pour eux un moyen de peser sur les processus en cours et d’avancer leurs pions. Il ne faut pas être naïf », a-t-il dit.
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