L’armement des drones fait toujours débat en Allemagne… et l’Otan s’en mêle

Il y a exactement un an, le 23 décembre 2019, un MQ-9 Reaper de l’escadron 1/33 Belfort effectuait une première frappe aérienne au titre de l’opération Barkhane. La décision d’armer les drones MALE [Moyenne Altitude Longue Endurance] de l’armée de l’Air & de l’Espace avait été annoncée en septembre 2017 par Florence Parly, la ministre des Armées.

« Un drone armé n’est pas un robot tueur. Ce sont deux systèmes qui n’ont rien de semblable. Cette décision ne change rien aux règles d’usage de la force, au respect du droit des conflits armés et je reste plus que jamais attachée au respect du droit international et de nos engagements relatifs à la maîtrise des armements et à la préservation des populations civiles dans les conflits », avait justifié Mme Parly à l’époque.

Quoi qu’il en soit, cette décision mit un terme à des années d’hésitations au sujet de cette capacité, dont il est désormais difficile de s’en passer. En effet, selon des chiffres arrêtés en octobre, 40 frappes sur les 97 effectuées au Sahel depuis le début de l’année 2020, sont à mettre au crédit des MQ-9 Reaper de l’aAE.

La question d’armer ou pas les drones MALE aurait pu être tranchée bien plus tôt, étant donné que les premiers essais d’un tel appareil armé – un MQ-1 Predator – avaient été conduits en février 2001, avec des missiles AGM-114C Hellfire… Et que les premier tirs en condition opérationnelle avaient été effectués par les forces américaines en 2002.

Mais si la France a franchi le pas, avec des règles d’engagement bien précises, le sujet fait encore débat – voire polémique – en Allemagne, où la Bundeswehr entend louer cinq drones MALE Heron TP auprès du groupe israélien IAI, dans le cadre d’un contrat notifié en juin 2018, malgré les réticences exprimée par les sociaux-démocrates du SPD et les autres élus des partis de gauche [Die Linke et Bündnis 90 / Die Grünen]. Pour aller de l’avant dans ce dossier, il avait décidé de renvoyer à plus tard la question d’armer ou non ces appareils.

Alors que la version allemande du Heron TP a effectué son premier vol en juillet dernier, le débat a donc été ravivé par une déclaration faite par le SPD le 15 décembre. En effet, ce dernier a fait savoir qu’il s’opposerait à l’acquisition de munitions destinées aux futurs drones de la Bundeswehr en l’état actuel des choses. Un vote au Bundestag [chambre basse du Parlement] devant avoir lieu sur cette question a d’ailleurs été reporté à une date ultérieure, qui n’a pas encore été fixée.

Le SPD a justifié sa position en faisant valoir qu’un large débat sur les aspects éthiques de l’armement des drones n’avait pas encore eu lieu, comme le stipule l’accord de coalition gouvernementale qu’il a conclu avec les chrétiens démocrates de la CDU/CSU. « La frontière entre défendre la vie de nos soldats et tuer avec un joystick est extrêmement mince », a soutenu Norbert Walter-Borjans, le chef de file de sociaux-démocrates.

Or, ce débat, avec maintes auditions d’experts à la clé, a eu lieu, comme le rappelle le lieutenant-colonel André Wüstner président de l’Association des forces armées allemandes. « Je ne comprends absolument pas. Nous avons eu un long débat public détaillé et tous les arguments sont sur la table depuis longtemps. Si le président du SPD l’a manqué, alors je suis inquiet », a commenté l’officier.

Cela étant, cette décision du SPD a provoqué quelques remous en son sein. Favorable à l’armement des drones avec des règles d’engagement strictes, son porte-parole sur les questions de défense, Fritz Felgentreu, a remis sa démission pour protester contre la position affichée par son parti.

Président de la commission de la défense au Budndestag, le social-démocrate Wolfgang Hellmich, est sur la même ligne. Dans un entretien donné au Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, il a souligné les avantages que procurent des drones armés pour dénoncer la ligne de son parti et de son groupe parlementaire. Et de rappeler que la frappe de Kunduz [Afghanistan] qui, demandée par un colonel allemand en septembre 2009, fit au moins une soixantaine de tués parmi les civils, avaient été effectuée par un chasseur-bombardier et non par un drone…

Comme les prochaines élections fédérales auront lieu dans moins d’un an, le SPD est accusé par ses adversaires de s’opposer à l’armement des drones par calcul politique. Il « prêche en permanence contre la Bundeswehr. De toute évidence, les considérations tactiques électorales sont plus importantes pour les ‘camarades’ que la protection des soldats qui en paient le prix », a taclé Florian Hahn, l’expert « défense » de la CDU. « Pour Olaf Scholz [candidant à la succession de Mme Merkel, ndlr], il est maintenant temps d’afficher la couleur : soit il montre qu’il est pour les forces armées, soit il cède finalement aux idélologues de son parti », a-t-il ajouté.

Dans ce contexte, issu de la gauche norvégienne [Parti travailliste], le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, s’est invité dans le débat. « Les drones [armés] peuvent soutenir nos troupes sur le terrain, et, par exemple, réduire le nombre de pilotes que nous mettons en danger », a-t-il déclaré à l’agence de presse allemande DPA, le 23 décembre.

Cet argument ne fera sans doute pas changer d’avis ceux qui s’opposent à l’armement des drones puisqu’ils soutiennent que le seuil d’inhibition de l’utilisation des armes est inférieur à celui des avions de combat « traditionnels », étant donné que le télé-opérateur ne se met pas en danger. Ce qui est tout de même assez spécieux.

« Il est crucial qu’à chaque fois que nous utilisons des drones armés, nous le fassions selon des règles strictes et conformes au droit international », a aussi fait valoir M. Stoltenberg, soulignant que la « décision spécifique d’armer les drones allemands relève bien entendu de la politique allemande. »

Quoi qu’il en soit, pour la ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer [CDU], ce débat n’a que trop duré. Si, lors d’une émission télévisée, le 22 décembre, elle a dit « respecter les arguments » de ceux qui s’opposent à l’armement des drones, elle s’en est vivement pris au SPD, qu’elle a accusé de « lâcheté ».

« Si, après huit ans de discussions intensives, dire que l’on n’est toujours pas prêt et qu’il faut continuer à discuter est juste lâche. Et c’est pourquoi j’aimerais beaucoup que le SPD dise clairement ce qu’il veut ou ne veut pas », a affimé Mme Kramp-Karrenbauer.

Ce débat en Allemagne intéresse… la France et l’Espagne étant donné que le programme de Système de combat aérien du futur [SCAF] fera appel à des drones ainsi qu’à des effecteurs qui seront armés. L’allemand Dirk Hoke, le Pdg d’Aibrus Defence and Space, impliqué dans ce projet, en est évidemment conscient. Ainsi, plus tôt, ce mois-ci, il a confié à la presse qu’il espérait voir l’opinion publique allemande soutenir l’armement des drones. Elle doit se « rendre compte que nous assistons à une volatilité accrue, à davantage de crises et que la plus grande économie d’Europe ne peut pas se soustraire aux responsabilités qui découlent de cette position », a-t-il plaidé.

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