Optronique : Paris ferme définitivement la porte à un rachat de Photonis par l’américain Teledyne

Depuis plus d’un an, la mise en vente par le fonds Ardian du groupe français Photonis, numéro un mondial des analyseurs par spectromètrie de masse et spécialiste des systèmes de vision nocturne, a donné lieu à maints rebondissements.

Dans un premier temps, la Direction générale de l’armement [DGA] avait dit chercher une solution pour éviter de voir passer cette pépite technologique française sous pavillon étranger. Car, outre le fait qu’elle a quelques trains d’avance dans le domaine de la vision nocturne, avec notamment la CMOS Kameleon, une caméra qui permet de filmer en couleur pendant la nuit, cette entreprise produit aussi des tubes de puissance pour les communications et fournit des composants au laser Mégajoule, qui fait partie du programme « Simulation » de la dissuasion nucléaire, aux satellites et aux sous-marins nucléaires.

En fait de solution, la DGA demanda à Thales et à Safran de faire une offre pour reprendre Photonis. Un « pis-aller », pour les sénateurs Pascal Allizard et Michel Boutant, auteurs d’un rapport sur base industrielle et technologique de défense [BITD] remis en juillet. Et pour cause : les deux groupes sollicités n’avaient aucun intérêt à se lancer dans une telle opération. « On se trouve devant une version industrielle du dilemne du prisonnier : tous auraient intérêt à coopérer, mais aucun n’a intérêt à fournir seul l’effort », résumèrent les parlementaires.

Alors que plusieurs députés, de tous les bords politiques, se sollicitèrent le gouvernement pour éviter à Photonis le même sort que Latécoère [passé sous pavillon américain], Teledyne sortit du bois en faisant une offre de plus de 500 millions de dollars. Évidemment, s’opposer au rachat d’une entreprise est toujours un mauvais signal envoyé aux investisseurs. Aussi, il fut rapporté que le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, s’était oppose « verbalement » au projet du groupe américain.

Puis, durant l’été, le gouvernement mit des conditions drastiques au rachat de Photonis, imposant l’entrée au capital de Bpifrance, avec un droit de veto susceptible d’être utilisé en cas de décision allant à l’encontre des intérêts de la France, la mise en place d’un « comité de sécurité interne », composé de représentants du ministère des Armées et de celui de l’Économie, et l’interdiction d’envoyer aux États-Unis toute information relative aux équipements livrés aux forces françaises.

En septembre, Teledyne fit connaître auprès de la Securities and Exchange Commission [le « gendarme » boursier américain, ndlr] son intention de renoncer à Photonis, estimant que le prix de son rachat était trop élevé au regard des exigences imposées par les autorités françaises. En réalité, il s’agissait d’une manoeuvre pour contraindre le fonds Ardian à baisser le prix de vente.

En effet, le 26 octobre, Teledyne annonça avoir obtenu « un accord de pricinpe » pour le rachat de Teledyne pour 425 millions d’euros, soit avec un rabais de 15%.

Les choses en étaient restées là jusqu’à ce 18 décembre, avec la déclaration de Florence Parly, la ministre des Armées. Ainsi, a-t-elle annoncé, « l’État travaille avec des acteurs industriels et financiers français à une solution de reprise nationale permettant de préserver la souveraineté de Photonis, entreprise essentielle aux opérations militaires françaises. » Et d’ajouter : « L’offre de rachat de Photonis par l’industriel Teledyne n’a pas fait l’objet d’un agrément au titre de la réglementation relative aux investissements étrangers en France. »

Pour la ministre, cette décision traduit la « volonté de protection des intérêts stratégiques de la France, dont Photonis fait partie, tout en assurant la pérennité de cette entreprise d’excellence. »

Reste maitenant à voir quelle alternative sera trouvée. Est-ce que Thales et Safran se sont laissé convaincre? Un autre fonds d’investissement français est-il intéressé?

Quoi qu’il en soit, la France n’est pas la seule à vouloir préserver ses fleurons technologiques des appétits étrangers. L’Allemagne également, alors que, traditionnellement, l’État fédéral se garde d’intervenir dans les affaires des entreprises. Selon Reuters, le gouvernement allemand a en effet décidé l’acquisition d’une participation de 25,1% au capital de l’électronicien de défense Hensoldt, qui avait été cédé par Airbus au fonds KKR en 2017 et introduite en Bourse en septembre dernier. Objectif? Protéger le groupe des visées chinoises. Au début du mois, et nom de la sécurité nationale, Berlin avait également mis son veto au rachat d’IMST oar Addsino, une filiale du groupe de défense public China Aerospace Science and Industry Corporation.

Photo : © Photonis

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