Sahel : Le général Lecointre n’exclut pas de discuter avec « un ennemi » mais renvoie la question aux politiques

En mai 2019, l’International Crisis Group avait préconisé un « changement de cap » au Mali, en suggérant aux autorités maliennes de mandater des chefs religieux pour ouvrir un canal de communication avec certains groupes jihadistes, l’idée étant de combiner pression militaire, dialogue et désarmement afin d’arriver éventuellement à un accord permettant de mettre un terme aux violences.

Cette approche a peu ou prou été adoptée par l’ex-président Ibrahim Boubacar Keita [dit IBK], lequel avait admis, en février dernier, l’existence de contacts avec certains chefs jihadistes, dont ceux du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM] et de la Katiba Macina, à savoir Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa. « J’ai un devoir aujourd’hui et la mission de créer tous les espaces possibles et de tout faire pour que, par un biais ou un autre, on puisse parvenir à quelque apaisement que ce soit. Parce que le nombre aujourd’hui de morts au Sahel devient exponentiel. Et je crois qu’il est temps que certaines voies soient explorées », avait-il expliqué à l’époque.

Depuis, IBK a été renversé par un coup d’État militaire. Et le nouveau régime qui a pris sa suite n’est pas hostile à un dialogue avec le GSIM, pourtant lié à al-Qaïda. Ce qui serait même vu comme une « opportunité d’engager une vaste discussion avec les communautés afin de définir les contours d’une nouvelle gouvernance », comme l’affirma Moctar Ouane, le Premier ministre malien, en présence de Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie française.

Pour rappel, l’accord d’Alger signé 2015 par les autorités maliennes et des groupes armés touaregs indépendantistes relevant de la Coordination des mouvements de l’Azawad [CMA] est la pierre angulaire du processus de paix au Mali… Et les groupes jihadistes ne les ont pas signés. Ce que rappela M. Le Drian au chef du gouvernement de transition Malien. « Disons les choses très clairement : il y a des accords de paix […]. Ces accords de paix ont été validés par un certain nombre de signataires, dont des groupes armés. Et puis il y a des groupes terroristes qui n’ont pas signé les accords de paix. Les choses sont simples », avait-il dit.

Cependant, d’autres voix ont plaidé pour ouvrir un dialogue avec certains groupes terroristes, à l’exception de l’État islamique au grand Sahara [EIGS]. Le commissaire de l’Union africaine [UA] à la Paix et la Sécurité, Smaïl Chergui, en fait partie. De même qu’Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies. Dans un entretien donné au quotidien Le Monde, en octobre, il avait estimé qu’un dialogue avec « certains groupes extrémistes » était « possible. »

« Il y aura des groupes avec lesquels on pourra parler, et qui auront intérêt à s’engager dans ce dialogue pour devenir des acteurs politiques dans le futur », avait expliqué M. Guterres. « Mais il reste ceux dont le radicalisme terroriste est tel qu’il n’y aura rien à faire avec eux », avait-il aussitôt précisé.

Quoi qu’il en soit, la ligne affichée par la France est simple et elle a récemment été réaffirmée par le président Macron dans les colonnes de l’hebdomadaire Jeune Afrique. « Avec les terroristes, on ne discute pas. On combat », avait-il en effet lancé. Et d’insister : « Il faut s’inscrire dans la feuille de route claire que sont les accords [de paix] d’Alger. Ceux-ci prévoient un dialogue avec différents groupes politiques et autonomistes. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut dialoguer avec des groupes terroristes, qui continuent à tuer des civils et des soldats, y compris nos soldats. »

Cela étant, après deux jours passés au sein de la force Barkhane, le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA] a donné le sentiment de nuancer la position française dans un entretien donné à RFI.

Ainsi, dans un premier temps, le CEMA a tenu à souligner le « bilan très positif » obtenu dans la région dites des trois frontières [car située aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger], contre l’EIGS. En effet, les décisions prises lors du sommet de Pau avec les pays du G5 Sahel [13 janvier] et l’envoi de 600 militaires supplémentaires pour reforcer Barkhane ont produit leurs effets.

« Aujourd’hui, ce que j’observe, c’est qu’on a désorganisé l’ennemi dans le Liptako, il n’a plus la libre disposition de cet espace immense, il n‘est plus capable de contrôler les populations comme il le faisait. On a désorganisé sa logistique, on a affaibli son commandement et on lui a infligé des pertes importante. Et dans le même temps, on a autorisé et permis le retour de l’unité malienne et de l’unité nigérienne qui ont été reconquérir un certain nombre de places qu’elles avaient abandonnées parce qu’il y avait eu des massacres de garnisons complètes », a expliqué le général Lecointre, sans nommer l’EIGS.

Puis, à la question lui demandant s’il pensait « possible aujourd’hui de négocier avec une partie des groupes armés terroristes » ou si cela constituait toujours une ligne rouge, le général Lecointre a d’abord estimé que « ce n’est pas un choix de militaires » mais « un choix des politiques, à commencer par les politiques maliens. » Cependant, a-t-il continué, « il y a effectivement un positionnement de principe de la France qui considère qu’on ne négocie pas avec des terroristes », ce qui « ne veut pas dire pour autant qu’on ne négocie pas avec un ennemi. »

« Si on veut […] s’entendre avec quelqu’un qu’on a combattu, il faut être capable de choisir le bon partenaire avec lequel s’entendre, celui qui est représentatif, qui est légitime. Et donc ça posera un jour la question d’un accord politique qui se fera avec des gens qui à un moment ou à un autre ont été des ennemis de la force Barkhane, ont été les ennemis de la force armée malienne », a enchaîné le CEMA.

« Je ne me prononcerai pas sur le degré d’acceptabilité morale ou le risque que nous prendrions d’ailleurs à aller négocier avec des terroristes dont on sait qu’ils sont extrêmement idéologisés et que leur objectif est de créer un État islamique dur au Mali, ce qui, là, est une appréciation politique qui n’est pas de mon ressort, mais qui évidemment comporte un danger puissant à la fois pour le Mali et puis par risque de contagion sur l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel », a ensuite conclu le général Lecointre sur ce sujet.

Photo : © EMA

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