Un cargo affrété par un armateur turc arraisonné par l’Armée nationale libyenne

S’ils ont entamé des discussions pour tenter de trouver un accord sur un processus politique qui permettrait de sortir la Libye du chaos, les deux camps rivaux, à savoir le gouvernement d’union nationale [GNA] de Tripoli et les autorités de Tobrouk, donnent le sentiment de négocier avec des couteaux cachés sous la table… Et si, le une entente a été trouvée sur le départ des combattants étrangers qui les soutiennent, rien n’a changé sur le terrain.

En effet, la semaine passée, la représentante par intérim du Secrétaire général des Nations unies en Libye, Stephanie Williams, au moins dix bases militaires « totalement ou partiellement occupées par des forces étrangères » ont été recensées dans le pays. Et leurs effectifs sont évalués à 20.000 combattants. Dans le même temps, la pression monte sur les régions d’al-Jufrah et de Syrte, contrôlées par l’Armée nationale libyenne [ANL], qui relève du gouvernement de Torbouk.

Pour rappel, le GNA bénéficie de l’appui militaire de la Turquie, qui lui livre des armes et lui envoie des mercenaires recrutés parmi les groupes rebelles syriens pro-Ankara. Quant à l’ANL, elle est soutenue par les Émirats arabes unis, l’Égypte et la Russie, cette dernière ayant acheminé des avions de combat MiG-29 et Su-24 dans l’est libyen. En outre, la société militaire privée russe Wagner est également présente.

La Libye étant soumise à un embargo sur les armes décrété par les Nations unies, l’Union européenne a mis sur pied l’opération navale Irini afin de le faire respecter, en vertu de la résolution 2292 du Conseil de sécurité. En outre, l’Otan, via sa mission Sea Guardian, peut être amenée à effectuer des contrôle… Ce qui valut d’ailleurs à la frégate française Courbet d’être illuminée par le radar d’un navire militaire turc qui escortait le cargo Cirkin.

Quoi qu’il en soit, malgré ces opérations, l’embargo sur les armes est régulièrement violé par les « parrains » des deux camps rivaux. Ce qui fait que des navires affrétés par des armateurs turcs accostent régulièrement au port de Misrata, qui est l’un des points d’entrée de l’aide militaire fourni par Ankara au GNA.

Et l’un de ces navires, le Mabrooka, un cargo battant pavillon de la Jamaïque et appartenant à la compagnie turque Aswan Shipping Denizcilik, n’a plus donné sa position depuis le 2 décembre. À ce moment là, il se trouvait au large de Port-Saïd [Égypte] et devait se rendre à Misrata. Selon les données de navigation fournies par le site Vesselfinder, ce bâtiment était parti de Lattaquié [Syrie] le 21 novembre, puis passé par le port du Pirée deux jours plus tard, avant de rejoindre Alexandrie.

Le 7 décembre au soir, le porte-parole de l’ANL, le colonel Ahmed Al Mismari, a annoncé que le Mabrooka avait en réalité été arraisonné la veille dans une « zone d’opérations militaires » interdite à la navigation située au large de la région de Ral al-Hilal. Il a été reproché au navire de ne pas avoir répondu aux appels qui lui avaient été adressés.

Le cargo a ensuite été remorqué vers le port de Ral al-Hilal, où il a été immobilisé, le temps d’une enquête ouverte pour « violation de la réglementation et des lois maritimes », a précisé le colonel al-Mismari. Quant à son équipage, composé de neuf Turcs, sept Indiens et un Azerbaïdjanais, il a été mis sous les verrous.

Spécialiste britannique de la sécurité maritime, Dryad Global a souligné que ce n’est pas la première fois qu’un navire civil est arraisonné au large de la Cyrénaïque. « Les eaux au large de Derna sont les plus à risque en Libye. […] Il est conseillé aux navires de rester prudents lorsqu’ils transitent dans cette région et de naviguer à au moins 50 nautiques au large », a-t-il commenté. Et d’ajouter : « Les tensions montent en Libye à cause de la présence de navires de guerre turcs au large de Misrata, ce qui a provoqué une mobilisation des forces de l’ANL et du GNA vers Syrte. »

À noter que, en septembre, deux navires de pêche italiens – le Medinea et l’Antartica – ont connu le même sort. Les 18 marins – dont 8 Italiens – qui se trouvaient à bord sont toujours en prison car soupçonnés de trafic de drogue. D’ailleurs, le Comité de coordination interministérielle pour la sécurité des transports et des infrastructures [COCIST] transalpin a recommandé d’éviter la navigation au large des côtes libyennes, déclarées « zones à haut risque ».

Cela étant, ayant déjà prévenu que la moindre atteinte à ses intérêts en Libye donnerait lieu à une « riposte la plus efficace et la plus forte », la Turquie a « fermement » condamné l’arraisonnement du Mabrooka.

« Le navire doit être autorisé à poursuivre sa route sans tarder », a insisté le ministère turc des Affaires étrangères. « Nous rappelons une fois de plus que si les intérêts turcs en Libye sont pris pour cible, il y aura de graves conséquences et les auteurs de [ces atteintes] seront considérés comme des cibles légitimes », a-t-il prévenu.

Selon les autorités turques, et comme pour chaque navire devant se rendre à Misrata, le Mabrooka transporterait du « matériel humanitaire ».

Photo : capture d’écran / youtube

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]