Le président Giscard d’Estaing aura laissé aux armées un héritage important et… durable

Le président Valéry Giscard d’Estaing vient donc de nous quitter à l’âge de 94 ans. De sa présidence, on retient généralement les réformes sociétales, la construction européenne ou encore la confirmation de grandes décisions stratégiques [nucléaire, TGV, etc]. Et cela dans un contexte marqué par la fin des « Trente Glorieuses » et un climat politique tendu. Curieusement, la politique menée en matière de défense durant cette période est rarement évoquée…

Comme Jacques Chirac, son rival, qui était volontiers décrit comme un « fana mili », M. Giscard d’Estaing a connu le feu. Élève en classe préparatoire au lycée Louis-le-Grand, il participe à la Libération de Paris, en août 1944. Puis, au lieu de reprendre sa scolarité et préparer le concours de l’École Polytechnique, il s’engage au 2e Régiment de Dragons, alors intégré à la 1re armée française du général Jean de Lattre de Tassigny. Jeune brigadier, il obient une citation à l’ordre de l’Armée pour son attitude face à l’ennemi.

« Le 25 avril, à Zollhaus, son char, ayant reçu un Panzerfaust, a continué à tirer au canon malgré la violence de l’explosion […]. Grâce à cette action immédiate, l’ennemi a cessé son feu de Panzerfaust et le char a pu reprendre sa mission », indique le texte de cette citation. Plus tard, il sera décoré de la Croix de guerre 1939-45.

Rendu à la vie civile, Valéry Giscard d’Estaing réintègre sa classe préparatoire puis réussit le concours de l’X en se classant sixième [sur 385 candidats]. Puis, devenu ingénieur, il intégre l’École nationale d’admnistration [ENA] avant d’entamer la carrière politique que l’on connaît.

Le 1er juin1976, alors que la Loi de programmation militaire [LPM] 1977-82 venait d’être adoptée au Parlement, le président Giscard d’Estaing donna les grandes lignes de la politique qu’il entendait mener, lors d’un discours prononcé devant l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale [IHEDN].

Cette politique, avait-il dit, devait s’appuyer sur le double constat que la France, « chose singulière », a toujours été une « puissance autonome », comme elle a toujours été une « puissance militaire ».

Et d’ajouter : « Ce qui fait que traiter le problème de la défense, à l’heure actuelle, ce n’est pas traiter une équation circonstancielle. C’est tenir compte de ces deux concepts historiques : la France, puissance autonome, la France, puissance militaire. »

« La conception de la politique de défense est aussi liée à une perception exacte des réalités mondiales contemporaines. Cet exercice est relativement difficile parce qu’il ne doit pas être inspiré par l’esprit de système », avait continué le président Giscard d’Estaing. Quant au rang que la France devait occuper dans le monde, « il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté dans le vocabulaire!, avait-il lancé.

« Il y a des superpuissances » comme le sont les « États-Unis et l’Union soviétique ». Puis « il y a ensuite la Chine, qui est un cas particulier » et qui « accédera peut-être à la position de superpuissance », avait-il décrit. Puis, « il y a un groupe à peu près homogène […], qui comprend des pays d’un ordre de grandeur comparable tels que le Japon, l’Allemagne fédérale, la Grande Bretagne, la France », avait-il continué. Et « notre ambition en matière économique comme en matière de défense doit être que la France soit à la tête de ce groupe », avait affirmé le président Giscard d’Estaing. Et d’insister même : « L’objectif du point de vue de la défense, c’est que la France soit en tête du groupe des puissances qui suivent les superpuissances. »

Pour cela, la LPM 1977-82 devait permettre d’atteindre un tel objectif. Par exemple, il était prévu de doter l’armée de l’Air d’une centaine de Mirage F1 supplémentaires et d’avions entraînement Alphajet ainsi que de lancer le programme Mirage 2000, appareil devant marquer une « étape significative » de par sa technologie avancée. Les acquisitions de VAB, AMX-10RC et de FAMAS furent confirmées. Et la Marine nationale, qui allait créer la FANu [Force aéronavale nucléaire] en 1978, put lancer d’importants programmes, comme ceux, entre-autres, des sous-marins nucléaire d’attaque Rubis, des frégates de la classe Georges Leygues et des avisos A69. Des équipements qui, pour la plupart, sont encore en service de nos jours!

À noter que, pour la Marine nationale, le président Giscard d’Estaing avait décidé la construction de deux porte-avions à propulsion nucléaire lors d’un Conseil de défense restreint tenu en septembre 1980.

En 2013, le président Giscard d’Estaing, qui avait embarqué à bord du sous-marin nucléaire lanceur d’engins [SNLE] « Le Terrible » peu après son élection, était revenu sur la politique qu’il avait menée lors d’un entretien donné à Valeurs Actuelles.

« Quand j’arrive […], la force de dissuasion est à peu près achevée. Mais les réductions de crédits de fonctionnement ont été telles que les avions ne volent plus, les bateaux ne sortent plus en mer et nos fantassins ne font plus de manoeuvres. Notre outil de défense est en crise », s’était-il souvenu. D’où la hausse importante des crédits militaires, dans un contexte de crise économique [+30% en monnaie constante, l’effort de défense passant de 2,55 à 2,97% du PIB. Sans doute avait-il à l’esprit la devise du 2e Régiment de Dragons au sein duquel il servit : « Da materiam splendescam » [« Donnez-moi les moyens et je resplendirai »].

« La situation s’est donc modifiée, l’armée de Terre retrouvant des équipements, le moral s’est redressé et le commandement a été rénové. Nous avons pu remonter la pente jusqu’en 1981, date à partir de laquelle la courbe s’est inversée à nouveau », avait-il souligné lors de cet entretien, rappelant qu’il fallait faire le nécessaire pour que la France « puisse tenir son rang dans le club des grands. » Bref, en matière de défense, le président Giscard d’Estaing n’aura pas été « l’homme du passif », comme le décrira celui qui allait devenir son successeur, François Mitterrand, lors du débat télévisé de la campagne présidentielle de 1981.

Sous sa présidence, plusieurs opérations extérieures furent lancées. Bien sûr, on songe à l’affaire de Kolwezi, avec l’opération aéroportée des légionnaires du 2e REP [Bonite]. Mais il ne faudrait oublier celles menées au Tchad [Tacaud], en Centrafrique [Barracuda] ou encore au Liban [FINUL].

Un autre aspect que le président Giscard d’Estaing avait abordé dans son entretien à Valeurs Actuelles était le climat qui régnait au sein des armées [avec la conscription] durant son septennat. Le « désordre s’installait dans les armées » et divers incidents lui révélèrent « un début de décomposition du métier militaire, qui pouvait être très dangereux ». D’où la nomination du général Marcel Bigeard au poste de secrétaire d’État à la Défense…

Après avoir quitté l’Élysée, le président Giscard d’Estaing s’est toujours intéressé aux affaires militaires. Non sans lucidité. Lui, l’européen convaincu, il avait ainsi estimé que l’Europe de la défense « resterait un rêve ».

« Il n’existe que trois nations disposant de moyens militaires en Europe. D’abord les Britanniques, ensuite nous-mêmes, enfin les Allemands – mais ceux-ci ont des contraintes telles que cela les empêche d’être libres de leurs mouvements. Quant aux Britanniques, une forte partie d’entre eux est ‘eurosceptique’. [Aussi], c’est entre nos nations, à commencer par le Royaume-Uni, que l’on peut imaginer constituer un outil cohérent, à un moment où nous assistons au remodelage de la sécurité dans le monde », avait-il dit en 2013.

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