Les électeurs suisses rejettent l’interdiction des investissements dans l’industrie de l’armement
Sans doute que le débat qu’a connu la Suisse ces dernières semaines aura été suivi de près en France, où les entreprises de la Base industrielle et technologique de défense [BITD] éprouvent souvent beaucoup de difficultés à accéder à des financements privés. L’été dernier, un rapport du Sénat avait d’ailleurs dénoncé la « coupable carence des banques et le dévoiement des règles de compliance [les règles censées leur éviter d’écorner leur image de marque et les prémunir d’éventuelles poursuites judiciaires, ndlr]. »
« Les banques ne jouent pas leur rôle économique et social de financement de l’activité économique » et « il convient d’insister sur le traitement particulièrement défavorable dont font l’objet les entreprises de la BITD », avaient affirmé les sénateurs Pascal Allizard et Michel Boutant, les auteurs de ce rapport. « Au nom d’une application extensive et dévoyée des règles de conformité réglementaire [compliance], de nombreux acteurs français de la finance refusent de financer le développement des entreprises de la BITD, brisant le cycle normal de croissance des entreprises », avaient-ils insisté.
En Suisse, une initiative lancée par les Jeunes Verts et le Groupe pour une Suisse sans armée [GSsA] visait à interdire aux établissements financiers de la Confédération d’investir dans l’industrie de l’armement, que ce soit par des prises de participation, l’achat de titres ou l’octroi de prêts. Et cela afin de rendre un « monde plus pacifique et solidaire », étant entendu que, d’un point de vue moral, il n’était plus question de « permettre une politique de maximisation des profits au détriment de vies humaines. »
Si les trois principales banques suisses ont investi près de 9 milliards de dollars dans les 32 des 43 plus grands groupes mondiaux de l’industrie de l’armement, une telle initiative était de nature à mettre en difficulté les entreprises suisses ayant des activités dans le secteur de l’armement. Non seulement les grands noms, comme Pilatus Mowag ou Ruag, mais aussi les PME ayant un rôle de sous-traitant, le simple fait de fournir des pièces, même partiellement usinées, pouvant leur valoir d’être frappées d’alignement. En outre, cela aurait compliqué la modernisation des forces armées suisses.
Dans un premier temps, les sondages montrèrent un soutien relativement important à cette « initiative contre le commerce de guerre », 54% des personnes interrogées en octobre ayant affirmé être prêtes voter en sa faveur. Mais les arguments du camp opposé [partis de droite, gouvernement] ont fait mouche. Le 29 novembre, 57,47% les électeurs suisses l’ont finalement rejetée, lors d’une votation ayant eu un taux de participation de 46%. Et le « oui » a été majoritaire dans seulement quatre cantons.
Cela étant, cette question sur le financement de l’industrie de défense a fait apparaître des lignes de fracture entre les cantons romands et alémaniques. En Suisse, les commentateurs politiques parlent de « Röstigraben » [rideau des Rösti, specialité culinaire de la Suisse alémanique, ndlr].
Ainsi, les premiers [dont Genève, Jura et Neuchâtel] ont soutenu cette initiative à 52/55%, quand les seconds, à l’exception du canton urbain de Bâle-Ville, l’ont rejetée à une large majorité. Le canton de Nidwald [où se situe le siège de Pilatus] aura été le plus opposé, avec 75,2% de « non », suivi par ceux de Schwytz [74,24%] et d’Obwald [72,58%].
Ce résultat « n’est pas trop mauvais », a cependant relativisé Thomas , secrétaire du GSsA. « Une part de la population nous a entendus et nous soutient », a-t-il ajouté. Quant aux Jeunes Verts, ils se disent « pas vraiment surpris » par cet échec. Pour une responsable des Verts, Lisa Mazzone, citée par la RTS, cette « initiative sur le commerce de guerre a mis en évidence le rôle de la BNS [Banque nationale suisse] et ses pratiques parfois contradictoires avec notre politique ». Aussi, croit-elle, ces « dissonances vont émerger toujours plus dans le débat public et le Parlement va devoir s’y intéresser. »
« En rejetant nettement l’initiative contre ‘le financement des producteurs de matériel de guerre’, les Suisses ont montré leur attachement à une place économique forte », s’est félicité Carmelo Laganà, de l’organisation patronale Economisuisse. « L’introduction d’un quota rigide dans la Constitution pour les entreprises qui fabriquent des biens à double usage a sans doute été jugée exagérée et néfaste pour l’économie », a-t-il relevé, estimant que ce texte, s’il avait été accepté, « aurait posé de grosses difficultés pour le système de prévoyance qui aurait dû composer avec une couche bureaucratique supplémentaire. »
Photo : MOWAG EAGLE 6×6 TASys / Armasuisse