Le chef d’état-major de la Marine met en garde contre le « comportement conquérant » de la Chine
Lors de ses deux premières auditions parlementaires [au Sénat et à l’Assemblée, ndlr] en tant que chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], l’amiral Pierre Vandier avait insisté sur le « retour de l’usage stratégique de la mer », marquant la « face visible du nouveau cycle géopolitique actuel. »
Ainsi, avait souligné le CEMM, la « mer est redevenue une zone de friction, de démonstration de puissance, souvent désinhibée » et, « demain, elle pourrait être une zone d’affrontements », alors que le « code de bonne conduite entre nations n’est plus toujours respectés ». Et de citer la fortification d’îlôts à peine émergés pour en faire des base militaire, la prospection « sans vergogne » de la zone économique exclusive des pays voisins ou encore le pillage des ressources halieutiques « partout où les espaces ne sont pas défendus. »
Des pratiques dont la Chine est régulièrement accusée [ce dont l’amiral Vandier s’était toutefois gardé de rappeler]… En effet, Pékin pratique la politique du fait accompli en mer de Chine méridionale en installant des capacités d’interdiction et de déni d’accès [A2/AD] sur des récifs poldérisés des archipels Spratleys et Paracel, envoie des navires de prospections dans des eaux qui ne sont pas les siennes [ce qui donne lieu régulièrement à des frictions avec le Vietnam et la présence de ses flottilles de pêche au large des côtes africaines et sud-américaines suscitent régulièrement des tensions, comme encore récemment aux Galapagos.
Dans le même temps, la Chine fait son retour dans le domaine maritime. « Ce dernier est d’abord économique au moyen des routes de la soie qui vont jusqu’en Europe, leurs points d’atterrissage étant au Pirée en Grèce ou à Venise en Italie. Le grand retour est aussi militaire, la Chine s’armant en mer à cadence de combat. Tous les quatre ans, la Chine met à l’eau l’équivalent de la marine française », avait en effet relevé l’amiral Vandier.
Mais ce dernier est allé plus loin à l’occasion d’un entretien donné à l’AFP. en marge d’un déplacement au Japon, où il a notamment rencontré Nobuo Kishi, le minisitre nippon de la Défense. À Tokyo, on redoute les visées chinoises, notamment celles sur l’archipel Senkaku…
Meeting in Japan with my counterpart ADM YAMAMURA. Our two countries share many maritime interests in the Indopacific area. Together, we reaffirmed our commitment to respect for international law, freedom of navigation and multilateralism. https://t.co/h24WlNFlvy
— Chef d'état-major de la Marine (@amiralVandier) November 30, 2020
« Il y a une grande communauté de vues entre les autorités japonaises et nous sur la politique indo-pacifique », a confié l’amiral Vandier. Interrogé sur « l’expansionnisme et le militarisme chinois dans les espaces maritimes », il a fait observer, comme lors de ses auditions parlementaires, que le « rapport de force militaire est en train d’évoluer extrêmement rapidement »… en faveur de Pékin.
« Petit à petit, les équilibres militaires qui prévalaient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale sont en train d’être rebattus », a dit le CEMM, avant d’évoquer une « pression chinoise » qui « inquiète » non seulement les pays de la région mais aussi la France, en particulier en terme de « liberté de navigation. »
« La poldérisation de la mer de Chine et la sanctuarisation des eaux territoriales afférentes du fait de la poldérisation font l’objet d’une controverse portée devant les Nations unies » et la « Chine a un comportement très affirmatif, très conquérant en termes d’eaux territoriales », a expliqué l’amiral Vandier. Et pas seulement si l’on prend en compte la situation de Taïwan…
Quoi qu’il en soit, la France veut « pouvoir continuer à utiliser les espaces maritimes, conformément au droit international » et il n’est pas dans son intention « d’aller à à l’affrontement ou à faire des provocations », a assurer le CEMM.
Comme l’avait expliqué une étude du capitaine de corvette Axelle Letouzé publié en 2017, la mainmise de Pékin sur la mer de Chine méridionale constituerait un « risque pour la liberté d’action dans les zones d’opération de la France, y compris en Océan Indien » et serait une « arme stratégique » dans la mesure où une telle situation pourrait altéter le commerce international en cas de conflit.
Quant à ses échanges avec les responsables japonais, l’amiral Vandier a dit avour noter une « inquiétude » chez eux, suscitée par l’arrivée annoncée d’une nouvelle administration à Washington, laquelle pourrait se concentrer davantage sur « les problématiques intérieures », ce qui se traduirait un engagement moindre sur la scène internationale. « [Le président] Donald Trump avait fait sienne une démonstration assez puissante sur les dangers de la Chine. Ici, on sent peut-être une inquiétude sur un rapport moins ferme de la part de l’administration américaine », a-t-il dit.