Les électeurs suisses vont se prononcer sur le financement de l’industrie de l’armement

La votation qui sera organisée en Suisse le 29 novembre prochain soldera sans doute le débat en cours sur les investissements réalisés par les établissements financiers de la Confédération dans l’industrie de l’armement. Débat qui a un écho en France, dont les entreprises de la Base industrielle et technologique de Défense [BITD] éprouvent des difficultés croissantes à obtenir des prêts auprès du secteur bancaire.

« Cette attitude des banques, nouvelle et inquiétante, au nom d’une conception toujours plus extensive de l’analyse des risques, est profondément choquante. […] Les banques ont su faire appel à l’État et donc aux contribuables lorsqu’elles ont été dans la crise financière. Comment comprendre qu’elles tournent le dos aujourd’hui à un maillon central de notre industrie et de notre souveraineté?, s’est d’ailleurs récemment offusqué Christian Cambon, le président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense, après l’audition de Joël Barre, le Délégué général pour l’armement.

En attendant, les électeurs suisses auront donc à se prononcer sur une « initiative contre le commerce de guerre », lancée par les Jeunes Verts et le Groupe pour une Suisse sans armée [GSsA]. Ces deux mouvements font campagne pour interdire à la Banque natioale suisse ainsi qu’aux fondations et aux institutions de prévoyance publique et professionnelle d’avoir les liens financiers avec des entreprises ayant des activités dans le secteur de la défense. Le texte demande également que Berne « s’engage en Suisse et à l’étranger en faveur de la mise en place de conditions analogues pour les banques et les assurances. »

Seraient donc proscrits, s’ils obtiennent gain de cause, l’octroi de prêts, la prise de participation et l’acquisition de titres [actions, obligations].

Selon une étude publiée par Profundo, une entreprise néerlandaise spécialisée dans le recherche financières, les trois principaux établissements financiers suisses, à savoir UBS, Crédit Suisse et la Banque nationale Suisse, ont investi 8,9 milliards de dollars dans 32 des 43 plus grandes entreprises mondiales d’armement, notamment américaines.

Plus exposée que les deux autres, la banque UBS a ainsi 5,5 milliards de dollars placés dans l’industrie de l’armement, dont 912 millions auprès de Lockheed-Martin.

Selon l’intiative en question, « toute entreprise dont plus de 5 % du chiffre d’affaires annuel provient de la fabrication de matériel de guerre sera considérée comme producteur de matériel de guerre. » Et le droit suisse entend par « matériel de guerre » les armes, les munitions, les explosifs militaires, les équipements conçus ou modifiés pour le combat et la conduite des opérations ainsi que les pièces détachées et les « les éléments d’assemblage, même partiellement usinés, lorsqu’il est reconnaissable qu’on ne peut les utiliser dans la même exécution à des fins civiles. »

Les promoteurs de ce texte avancent que, « en tant qu’État neutre et dépositaire des Conventions de Genève, la Suisse ne peut pas se permettre une politique de maximisation des profits au détriment de vies humaines. » En clair, interdire aux établissements suisses d’avoir des liens financiers avec les entreprises du secteur de l’armement serait, pour eux, un moyen de rendre le monde « plus pacifique et solidaire »… mais aussi d’empêcher la modernisation des forces armées de leur pays, étant donné que, par exemple, le programme Air 2030, qui vise à acquérir environ 40 nouveaux avions de combat ainsi que des systèmes de défense aérienne, mise sur des compensations industrielles… En outre, ils soulignent qu’elles font partie d’une industrie qui est l’une des « plus polluantes ».

Seulement, une telle initiative ne pourrait que causer d’énormes problèmes aux industriels suisses dont une partie importante de l’activité dépend du marché de l’armement, comme Mowag, Ruag, Pilatus ou encore Oerlikon Contraves. La BITD hélvétique a réalisé un excellent premier semestre à l’exportation [501 millions de francs suisses de ventes, contre 272 millions un an plus tôt à la même période].

Mais ce n’est pas la seule raison que les opposants à ce texte avancent. Selon eux, il n’aurait aucun effet sur le commerce mondial de matériels de guerre « car il n’y a aucune volonté internationale de mettre en œuvre une interdiction au sens de l’initiative ». Et les investissements des établissements financiers suisses dans l’industrie de l’armement sont trop faibles pour que leur interdiction ait un quelconque impact.

« La BNS, par exemple, détient tout au plus 0,4 % des parts d’une entreprise. Or, si elle devait se défaire de ces parts, cela n’aurait aucune influence sur l’entreprise et sa production, car les parts en question seraient immédiatement reprises par d’autres investisseurs », souligne le secrétariat d’État à l’Économie suisse [SECO].

Qui plus est, la règle des 5% poserait deux types de problèmes. Le premier est qu’elle pourrait avoir de lourdes conséquences pour une PME sous-traitante d’un industriel de l’armement auquel elle fournit des pièces détachées. Le groupe industriel Swissmem estime ainsi qu’environ 3.000 entreprises employant 50.000 personnes pourraient en souffrir. Le second est qu’elle limiterait les marges de manoeuvres des banques et des caisses de pensions suisse tout en les obligeant à passer au crible chaque fonds négociés en Bourse [Exchange Traded Funds ou ETF].

Ainsi, investir dans l’indice boursier MSCI World, qui regroupe 1.600 entreprises de 23 pays, ne leur serait donc plus autorisé. Comme investir dans des entreprises duales, comme Airbus, Boeing, Thales ou Dassault Aviation. « Au final, ces contraintes pourraient rejaillir négativement sur les rentes de vieillesse et peser sur les caisses de pension, déjà fortement mises à mal par l’évolution démographique et le niveau des taux d’intérêt », fait valoir le SECO.

Alors, est-ce que les banques, les assurances sociales et les 1.500 caisses de pension professionnelles suisses doivent se préparer à revoir leurs portefeuilles et leurs investissements? À en croire un récent sondage réalisé par Tamedia, le soutien à cette initiative ne cesse de baisser, pour atteindre les 41% de personnes favorables. Mais remporter le vote populaire ne suffit pas : il faut également avoir la majorité des 26 cantons de la Confédération pour que cette iniative puisse être adoptée.

Photo : PC-21 © Pilatus

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