L’Australie admet que des membres de ses forces spéciales ont commis des exactions en Afghanistan

Il aura fallu quatre ans au ministère australien de la Défense pour admettre que des commandos de ses forces spéciales ont commis des exactions durant leur engagement en Afghanistan, précisément entre 2006 et 2013.

En effet, suite à un rapport sur les forces spéciales rédigé par la sociologue Samantha Crompvoets et la publication des « Afghan Files » par la chaîne publique ABC en 2017, ce qui valut à deux journalistes d’être soupçonnés d’avoir eu entre leurs mains des informations classifiées, une enquête sur les agissements des forces spéciales australiennes fut lancée sous la direction du général de réserve Paul Brereton, par ailleurs juge à la Cour d’appel de la Nouvelle-Galles du Sud.

Ce dernier vient de rendre ses conclusion dans un volumineux rapport [.pdf], dont la partie publique a été copieusement caviardée. Mais il n’en reste pas moins que cette enquête, qui a nécessité l’examen de 20.000 documents, 25.000 images et l’interrogatoire de 423 témoins sous serment, est accablante.

Ainsi, selon ce rapport, des membres des forces spéciales australiennes seraient responsables de la mort de 39 civils afghans au cours de 23 incidents distincts. « Aucun des meurtres n’a eu lieu dans le feu de la bataille : ils se sont tous produits dans des circonstances qui […] pourraient être qualifiés par un jury de crimes de guerre » et « toutes les victimes étaient soit des non-combattants, soit des prisonniers », affirme-t-il.

Le document insiste sur des pratiques choquantes, comme celle dite du « blooding », qui consiste à ordonner à de jeunes soldats subalternes de tirer sur des prisonniers dans une sorte de rite initiatique. Une autre visait à placer des munitions ou des équipements non utilisés par les forces australiennes auprès des cadavres de civils afin de suggérer qu’ils avaient été tués parce qu’ils étaient une « cible légitime ».

Au total, 25 commandos australiens ont été impliqués dans ces affaires. Et certains sont encore en service.

Ce 19 novembre, le général Angus Campbell, le chef d’état-major des forces australiennes, a présenté ses excuses pour de tels comportements.

« Au peuple afghan, au nom de la Force de défense australienne, je présente sincèrement et sans réserve mes excuses pour tout acte répréhensible de la part de soldats australiens », a en effet déclaré le général Campbell.

« Certaines patrouilles ont fait fi de la loi, des règles ont été enfreintes, des histoires inventées, des mensonges racontés et des prisonniers tués », a-t-il ensuite admis, avant d’accuser les responsables de tels actes d’avoir laissé une « tache » sur leur unité.

« Ce bilan honteux comprend des cas présumés dans lesquels de nouveaux membres de patrouille ont été contraints de tirer sur un prisonnier afin d’effectuer leur premier meurtre, dans une pratique effroyable connue sous le nom de ‘blooding' », a encore déploré le général Campbell.

« Auprès du peuple australien, je suis sincèrement désolé pour tou ces actes répréhensibles commis par des membres des forces de défense australiennes », a-t-il insisté, avant de souligner que la majorité des commandos « n’avaient pas choisi de suivre cette voie illégale. »

« Je suis très préoccupé par le fait que ces problèmes se soient produits », a dit le général Campbell. « Ils sont extrêmement dommageables pour une organisation et pour l’avenir d’une organisation comme la Force de défense australienne. » Et d’ajouter : « Je laisse toutes les options sur la table et je veux résoudre les problèmes au cas par cas. »

Ce qui veut dire qu’il n’est pas exclu que des poursuites soient engagées contre les commandos pour lesquels suffisamment de preuves ont été réunies pour qualifier leurs actes. Ils sont 19 à être dans ce cas.

Cela étant, le rapport du général Brereton insiste sur le fait que ces exactions sont la conséquence d’une « culture de guerriers égocentriques » au sein de l’unité concernée, en l’occurrence le 2nd Squadron SAS [Special Air Service], avec des supérieurs « considérés par leurs subalternes comme des demi-dieux », ce qui a d’ailleurs compliqué l’enquête, l’omerta étant la règle.

Aussi, avance le rapport, le problème vient d’une « focalisation mal placée sur le prestige » qui a détourné les commandos des valeurs traditionnelles des forces spéciales australiennes. En outre, les déploiements répétés sur une période prolongée n’ont fait que favoriser cette tendance. Tendance qui a été observé au sein d’autres unités spéciales, notamment aux États-Unis, comme l’avait souligné un rapport publié en janvier par l’US Special Operations Command [USSOCOM].

En attendant les suites judiciaires de cette affaire, le général Campbell a annoncé la dissolution du 2nd Squadron SAS, qui sera remplacé par une nouvelle unité, avec un autre nom et une culture de commandement différente.

De son côté, le Premier ministre australien, Scott Morrison, a fait part au président afghan, Ashraf Ghani, de sa « plus profonde tristesse face à l’inconduite de certaines troupes australiennes en Afghanistan » et assuré que des enquêtes seraient conduites pour rendre justice.

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