Avec l’essor des « textiles intelligents », les uniformes seront-ils bientôt considérés comme des équipements sensibles »?

Il y avait les tissus en fibres naturelles. Puis sont apparues les fibres synthétiques, organiques et minérales. Désormais, il est question de « textiles intelligents » [ou e-textiles], conçus avec des matériaux innovants, comme les polymères à image de forme et incorporant des capteurs et autres composants électroniques et/ou informatiques. On parle alors de « fibres connectées », dont l’essor est par ailleurs appelé à s’accentuer avec l’Internet des objets [IoT].

Ainsi, Google s’est associé à Levi’s pour commercialiser une « veste connectée », intégrant une puce « Jacquard ». L’entreprise française Spinali Design propose quant à elle des gants « intelligents » et « connectés » pour lutter contre la covid-19 ainsi que des maillots de bain dotés d’une fonction de géo-localisation et d’un capteur mesurant la dose d’UV reçue afin de prévenir qu’il est temps de se passer de la crème solaire.

Plus fort encore : il est désormais possible d’intégrer une puce RFID [Radio Frequency IDentification] dans un fil servant à confectionner un vêtement.

Évidemment, de tels « textiles intelligents » sont susceptibles d’avoir des applications militaires, comme, par exemple, pour mesurer l’état de santé d’un soldat grâce à des capteurs intégrés dans sa veste de treillis. D’ailleurs, dans le Document de référence de l’orientation de l’innovation de défense [DrOID] de l’Agence de l’innovation de Défense [AID] les a identifiés parmi ses priorités en matière de recherche.

Selon la ministre des Armées, Florence Parly, plusieurs études dans ce domaine ont été lancées cette année, pour un coût de 1,2 million d’euros. L’effort se poursuivra l’an prochain, avec une enveloppe supplémentaire de 500.000 euros. « Nous sommes évidemment disposés à accentuer cet effort d’innovation en fonction des propositions que nous feront les industriels français du textile, en lien avec le ministère de l’industrie puisqu’il s’agit d’un sujet dual », a-t-elle indiqué, lors du débat sur les crédits de la mission « Défense », à l’Assemblée nationale, le 30 octobre.

Seulement, s’ils peuvent être une opportunité pour les Armées, ces textiles dits intelligent sont aussi susceptibles d’être une menace pour les opérations… Surtout si leur origine n’est pas contrôlée. Cet aspect a d’ailleurs fait l’objet de l’amendement n°3360, déposé par les députés François Jolivet et Aude Bono-Vandorme dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances initiale pour 2021.

« Les évolutions technologiques permettent d’ores et déjà d’implanter des moyens de géolocalisation indétectables à l’œil et au toucher dans les fibres textiles. Les ‘nouveaux’ textiles deviennent intelligents et sont géolocalisables par un GPS, une empreinte thermique ou une empreinte magnétique. Cela signifie que les uniformes, les tentes, ou les matériels qui comportent des tissus, des fibres peuvent être ‘infectés’ et donc repérables. C’est une menace potentielle pour la sécurité de nos soldats en opération », ont fait valoir les deux parlementaires dans leur exposé des motifs.

Aussi, ils ont proposé que les textiles de « toute nature » soient dorénavant considérés comme des « équipements de défense ou de sécurité au sens de l’article L 1113-1 du code de la commande publique », étant donné que le ministère des Armées et celui de l’Intérieur « ouvrent au monde entier les appels publics pour la confection d’uniformes lesquels sont considérés comme de simples vêtements. »

Cette qualification des textiles en « équipements de défense » permettrait ainsi de se prémunir contre les « tentatives d’utilisation de ces tissus à des fins offensives par des pays étrangers contre nos troupes. » Les États-Unis et la Chine sont déjà allés dans une telle voie.

Bien que retiré lors des travaux en commission, cet amendement a été discuté dans l’Hémicycle, sans pour autant être adopté, la ministre ayant plaidé pour son retrait.

« La question de sécurité que vous soulevez est évidemment très importante. Le commissariat, en lien avec l’état-major des armées, est forcément très attentif à tout risque en la matière. Nous cherchons autant que possible à nous approvisionner en textiles auprès de fournisseurs français et européens, mais je suis très favorable à ce que nous examinions ensemble, avec les fabricants français et européens, les moyens de renforcer ce qui est finalement un élément de souveraineté. Je comprends et même partage votre objectif. Sachez que nous allons y travailler », a fait valoir Mme Parly auprès des deux députés à l’origine de cet amendement.

« Je remarque […] qu’il n’y a aucune raison que la France se distingue des membres du G20 qui considèrent que la production de ces équipements est un acte de souveraineté, échappant à ce titre aux accords de libre-échange, et qu’une filière de production de ces nouveaux matériaux digne de ce nom doit être recréée dans notre pays », a toutefois répondu M. Jolivet.

Photo : Treillis F3 © armée de Terre

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