L’avenir est incertain pour deux fabricants de composants critiques destinés aux sous-marins français

Alors que le programme de sous-marin nucléaire lanceur d’engin de 3e génération [SNLE 3G] est sur le point d’être lancé et que celui relatif aux sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] de type Barracuda se poursuit, Naval Group, Thales et Framatome Défense s’appuient sur une chaîne de sous-traitants qui leur fournissent des éléments critiques. Tel est ainsi le cas de CNIM [Constructions navales et industrielles de la Méditerranée] et d’Aubert&Duval.

En effet, et au-delà des conséquences de la crise économique provoquée par la pandémie de covid-19, l’avenir de ces deux industriels est pour le moment incertain. Ainsi, fondée en 1856, l’entreprise CNIM est un acteur historique de la dissuasion nucléaire française étant donné que, depuis les années 1960 et la construction du SNLE « Le Redoutable », elle fournit les tubes lance-missile des sous-marins de la Marine nationale.

Cependant, CNIM est une entreprise duale, c’est à dire que ses activités sont militaires et civiles. Or, en raison de la défaillance de l’un de ses partenaires britanniques en 2019, elle se trouve désormais plongée dans de graves difficultés financières que la crise sanitaire n’a fait qu’amplifier. Et ses activités dans le domaine de la défense, qui se portent très bien, ne lui permettent pas de les compenser.

Si l’État lui a apporté un soutien, via deux prêts du Fonds de développement économique et social [FDES] et en lui accordant des reports de charges fiscales et sociales à hauteur de 21,5 millions d’euros ainsi qu’environ 134 millions d’euros de garanties et couvertures via Bpifrance assurance export, le groupe CNIM attend des offres fermes de nouveaux investisseurs d’ici la fin de cette année.

Lors de son audition devant les députés de la commission de la Défense, Joël Barre, le Délégué général pour l’armement [DGA] s’en est inquiété. La société CNIM « exerce une activité de défense et d’innovation technologique, que nous utilisons, parfois dans des domaines critiques – je pense aux tubes lance-missiles de nos sous-marins –, qui se porte bien économiquement. Malheureusement, ses comptes sont plombés par l’activité qu’elle conduit dans d’autres domaines, notamment la gestion des déchets », a-t-il commencé par rappeler. « Je ne sais comment la situation évoluera mais nous veillerons à ce que les activités qui relèvent de nos intérêts de défense soient préservées et reprises dans des conditions qui protègent notre souveraineté sur ces technologies critiques », a-t-il ensuite assuré.

Cela étant, selon la LettreA, Naval Group serait intéressé par la reprise de l’activité « tubes lance-missile » de CNIM. Reste à voir si une telle opération sera possible. En tout cas, elle laisserait de côté les autres activités de l’entreprise dans les domaines de la défense [robotique, optronique, navires amphibies, etc] et de l’espace.

Quant à Aubert & Duval, spécialiste des pièces métalliques à hautes performances utilisées par l’industrie de l’armement, la situation est différente, son activité étant « plombée » par les difficultés du secteur de l’aéronautique. Et, comme Photonis dans le domaine de l’optronique, cette entreprise doit être mise en vente par son actuel propriétaire, en l’occurrence Eramet, dont l’État est actionnaire à hauteur de 25,65% [via l’APE – Agence des participations de l’État].

Ainsi, en juin, Eramet a indiqué avoir lancé une « revue stratégique détaillée relative à filiale Aubert & Duval, dans laquelle toutes les options sont envisagées ». En clair, et afin d’assainir ses finances, une cession pure est simple est sur la table, alors que les conditions pour une telle opération sont loin d’être optimales. En effet, le fort ralentissement du secteur de l’aéronautique devrait se traduire pour cette entreprise par une baisse d’environ 20% de son chiffre d’affaires en 2020 par rapport à l’année précédente.

Devant les députés, M. Barre a évoqué la « réglementation relative aux investissements étrangers en France » [IEF] pour éviter de voir partir l’étranger les savoir-faire d’Aubert & Duval. Comme, d’ailleurs, pour Photonis, dont le rachat par l’américain Teledyne est assorti de conditions drastiques.

« Aubert & Duval représente un atout critique et stratégique pour nos matériels. Nous encourageons un tour de table de reprise avec, en particulier, les grands maîtres d’œuvre, utilisateurs des produits d’Aubert et Duval, que sont Safran, Airbus, Dassault etc. J’espère que ce montage émergera dans les semaines à venir », a précisé le DGA.

Une telle solution avait été envisagée dans le cas de Photonis, Thales et Safran s’étant vus demander d’examiner la possibilité d’une reprise du spécialiste de l’optronique. Mais ni l’un ni l’autre n’affichèrent leur intérêt pour un opération de ce type. « On se trouve devant une version industrielle du dilemne du prisonnier : tous auraient intérêt à coopérer, mais aucun n’a intérêt à fournir seul l’effort », avaient résumé les sénateurs Pascal Allizard et Michel Boutant, dans un rapport sur la base industrielle et technologique de défense [BITD], publié en juillet dernier.

Cela étant, il en ira sans doute autrement pour Aubert & Duval. Le 30 octobre, Philippe Petitcolin, directeur général de Safran, a déclaré qu’il regardait l’avenir de la filiale d’Eramet « avec intérêt » étant donné son statut de « fournisseur critique » auprès du groupe qu’il dirige. Selon la presse économique, une alliance avec Airbus et le fonds d’investissement Ace Aéro Partenaires pourrait même se former en vue d’un rachat.

Photo : Naval Group

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