Un rapport parlementaire s’interroge sur le rôle de la Délégation à l’information et à la communication de la Défense

Pour les armées, bien communiquer est un exercice délicat : d’un côté, il ne faut pas trop en dire pour ne pas compromettre des opérations ou donner des éléments pouvant être exploités à des fins de renseignement par des puissances étrangères. Et, d’un autre, il faut en dire assez pour que l’opinion soit informée, comme elle en a le droit.

Cela étant, il est dans l’intérêt des armées de communiquer à bon escient, ne serait-ce que, par exemple, pour avoir le soutien de l’opinion dans les opérations qu’elles mènent, avoir une bonne image auprès de la population [ce qui joue sur le recrutement] et renforcer le lien armée/Nation, voire pour défendre éventuellement les budgets dont elles ont besoin. Un autre enjeu est de contrer certains discours, alimentés par des campagnes de presse « orientées », comme, par exemple, sur le sujet de la dissuasion nucléaire.

C’est à ces fins que, en plus des services de relations publiques [SIRPA] de chaque armée, chargés de la communication « opérationnelle », il a été créé, en 1998, la Délégation à l’information et à la communication de la Défense [DICoD]. Réorganisée en 2016, cette structure est organisée selon quatre pôles [« Alerte Analyse Opinion », « Création », « Influence » et « Support »]. En outre, elle assure la tutelle de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense [ECPAD], édite le magazine « Armées d’aujourd’hui » [du moins était-ce vrai jusqu’en septembre 2019, ndlr] et gère le site Internet du ministère des Armées. Elle est actuellement dirigée par Yasmine-Eva Farès-Emery, qui est également la porte-parole de Florence Parly, la ministre des Armées.

Ces derniers mois, les journalistes spécialisés dans les affaires militaires, en particulier ceux de l’Association des journalistes de défense [AJD], ont émis des doléances sur la façon dont fonctionne la communication au sein du ministère des Armées. Aussi, dans son rapport pour avis sur les crédits qu’il est question d’allouer au « soutien et logistique interarmées » pour l’année 2021, le député Claude de Ganay s’y est-il intéressé de près.

En 2020, le budget de fonctionnement de la DICoD s’est élevé à 4,9 millions d’euros, après avoir subi une réduction de 50% au cours des douze dernières années. Ses effectifs ont suivi la même pente [-55%] pour s’établir à 122 postes [équivalents-temps-plein – ETP], dont 56% sont occupés par des civils, dont 49% de contractuels. Sur ce point, elle explique que « les spécificités des métiers de la communication et leur technicisation croissante limitent les possibilités de recruter des fonctionnaires et des militaires. »

Au sein du ministère, la communication opérationnelle est assurée par l’EMA-COM, qui relève de l’état-major des armées, ainsi que par les SIRPA, lesquels éditent chacun leur propre magazine [Cols Bleus, Air Actualités, Terre Informations Magazine].

Pour mener à bien sa mission, l’EMA-COM compte une « vingtaine de professionnels qualifiés ». Ce qui, pour M. de Ganay, est « fort limité ». Ainsi, explique-t-il, « la cellule de communication de l’état-major des armées comprend un seul et unique community manager pour intervenir sur tous les réseaux sociaux où l’état-major des armées est présent […], un seul infographiste et un seul photographe ». Et, à ses yeux, « l’externalisation de telles fonctions n’est pas une solution envisageable, compte tenu des contraintes de temps et d’efficacité qui s’imposent à l’information et à la communication opérationnelles. »

Quant aux SIRPA, qui ont également à assurer la communcation institutionnelle de l’armée dont ils relèvent, ils disposent chacun d’environ 40 personnels, pour la plupart »projetables » en opération. Aux côtés de ces dernier viennent s’ajouter les services de relations publiques des directions et service. Celui de la Direction générale de l’armement [DGA-COM] a vu ses effectifs fondre de 60% au cours des dix dernières années. Enfin, celui du Secrétariat général pour l’administration [SGA-COM], fort d’une vingtaine de personnels, a une action davantage tournée vers la communication interne [informations sociales] ainsi que vers le monde combattant et le lien Armée-Nation.

Dans son rapport, M. de Ganay s’interroge ainsi sur un « éventuel chevauchement structurel entre la mission de communication transversale de la DICoD et la mission de communication du SGA-COM ». Mais pas seulement.

En effet, poursuit-il, « la politique de de ressources humaines de la DICoD, fondée sur un processus de civilianisation et le recrutement de contractuels aux profils spécifiques soulève des interrogations, au regard tant de la nécessité de remplir le contrat opérationnel que de l’identité militaire du ministère. » Enfin, il estime que que la « fonction de porte-parole, pourtant au cœur de la mission de la DICoD, ne semble plus pleinement assurée, détériorant l’accès à l’information essentiel à la couverture journalistique des armées. »

S’agissant de la « civilianisation » et le recours accru aux contractuels, le rapporteur estime que cela a des « conséquences sur l’équilibre interne de l’EMA-COM et des SIRPA », qui, souligne-t-il, font un « travail remarquable », dans un « format ‘commando’ réactif et efficace, avec – ou malgré – des effectifs ‘à l’os’. »

« En l’état actuel des choses, la civilianisation de la DICoD […] a des conséquences directes sur le vivier de communicants projetables sur les théâtres d’opérations, et par conséquent, sur l’équilibre des structures militaires de communication que sont l’EMA-COM et les SIRPA. Ces derniers compensent, avec des conséquences dommageables à leur équilibre interne, la diminution des capacités opérationnelles de la DICoD. En outre, cette civilianisation, doublée d’un processus de contractualisation, tend à mettre la DICoD en décalage avec l’identité militaire du ministère », explique M. de Ganay.

En clair, plus la DICoD emploie de civils, moins elle peut envoyer de « communicants » sur les théâtres extérieurs, obligeant ainsi les SIRPA et l’EMA-COM à compenser.

« L’EMA-COM et les SIRPA sont donc en première ligne. Ils font face à un accroissement de la projection de leurs personnels en opérations extérieures. Cet engagement opérationnel est consubstantiel à leur identité militaire – les communicants étant d’abord des soldats. Cependant, on peut légitimement s’interroger quant à la capacité de ces structures à mener, en parallèle, leurs missions traditionnelles », affirme le rapporteur, pour qui le recours aux contractuels au sein de la DICoD fait peser le risque de voir un vivier de personnels déconnectés des réalités opérationnelles.

Par ailleurs, le député s’interroge également sur la raison pour laquelle le magazine Armées d’aujourd’hui n’est plus publié depuis septembre 2019. « Compte tenu des moyens dont dispose cette structure, a fortiori au regard des moyens limités et des productions de grande qualité des trois SIRPA, le rapporteur ne peut que s’interroger quant à l’interruption de cette publication pendant une aussi longue période et regretter l’absence d’un magazine d’actualité du ministère des armées », écrit-il.

Cela étant, croit-il savoir, la DICoD préparerait la publication d’un « mook » [mi-livre, mi-magazine]. Et là encore, M. de Ganay de s’interroger sur « la pertinence d’un tel format à destination des lecteurs traditionnels des magazines proposés par les armées. »

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