La Turquie évoque l’achat possible d’un système de défense aérienne auprès de l’Italie et de la… France

Le 16 octobre, les forces turques ont très probalement lancé des missiles intercepteurs du système russe de défense aérienne S-400 « Triumph » lors d’un exercice organisé dans la région de Sinop sur les bords de la mer Noire. Si Ankara n’a fait aucune déclaration officielle pour confirmer ces tirs, la presse turque, en particulier celle proche du pouvoir en place, s’en est fait largement l’écho. Et le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar, a indirectement reconnu les faits dans un courrier électronique évoqué par l’agence Bloomberg.

« Chaque acquisition dans le domaine de la défense comprend des tests et des contrôles des systèmes », a en effet affirmé M. Akar, peu avant une réunion par vidéoconférence avec ses homologues de l’Otan.

Évidemment, au sein de l’Alliance, la mise en service d’un système de défense aérienne de facture russe est un sujet de préoccupation. Ce qu’a rappelé Kay Bailey Hutchison, la représentante des États-Unis auprès de l’Otan, lors d’une conférence de presse en ligne.

« Le fait qu’ils [les Turcs] aient testé un système russe S-400 au sein de l’Otan est très troublant pour nous tous », a en effet affirmé la diplomate. Déjà, l’acquisition de cet équipement auprès de Moscou a valu à la Turquie d’être exclue du programme d’avion de combat F-35. Et, outre-Atlantique, certains membres du Congrès exigent des sanctions à l’égard d’Ankara, conformément à la loi dite CAATSA. Mais, pour le moment, les choses en restent en l’état, campagne électorale oblige.

Cela étant, M. Akar s’est attaché à déminer le terrain en affirmant que les S-400 « ne seront pas intégrés la structure de commandement et de coontrôle de l’Otan » et qu’ils seront « utilisés comme des systèmes autonomes à l’image des S-300 de fabrication russe » mis en oeuvre par la Grèce [également membre de l’Otan, ndlr]. Pour rappel, ces systèmes avaient dans un premier temps été acquis par Nicosie, avant de les céder à Athènes afin de ménager la suceptibilité d’Ankara.

Plus généralement, le ministre turc a de nouveau reproché aux États-Unis de pas avoir voulu des systèmes Patriot PAC-3 à son pays. Ce qui est un petit arrangement avec la réalité… En effet, en 2012, Ankara avait lancé un appel d’offres afin de moderniser sa défense aérienne… Et le tandem Raytheon/Lockheed-Martin y avait répondu, de même que russe Rosoboronexport [avec le S-300 PMU2 d’Almaz-Antey] et le consortium franco-italien Eurosam [avec le SAMP/T].

Mais, le choix des autorités turques se porta sur le Hongqi-9/FD 2000 chinois, présenté alors comme étant nettement moins cher. Déjà, à l’époque, l’Otan avait mis en garde contre la mise en service d’un tel système au sein des forces turques. Finalement, les discussions avec le groupe chinois CPMIEC [China Precision Machinery Export-Import Corporation] tournèrent court. Puis, en juillet 2018, et alors que le contrat des S-400 était signé, Washington revint à la charge en formulant à nouveau une offre reposant sur le Patriot PAC-3.

Entre-temps, c’est à dire en janvier 2018, et voulant développer ses propres systèmes dans le cadre d’une coopération industrielle, la Turquie attribué au consortium Eurosam [formé par Thales et MBDA] un contrat d’étude de définition d’un futur système de défense aérienne dans le cadre du programme LORAMID [Long-Range Air and Missile Defense System].

Depuis, le climat entre la France et la Turquie s’étant franchement dégradé, ce projet est au point mort. Et pour cause : Paris a décidé de suspendre ses ventes d’armes à Ankara après l’offensive turque contre les milices kurdes syriennes, en octobre 2019.

Un an plus tard, İsmail Demir, qui tient les rênes de la Direction des industries de défense, a critiqué l’attitude des autorités françaises. « Nous sommes au stade de l’étude de définition maintenant. La France a une attitude négative pour la phase suivante. Cela crée des problèmes pour aller plus loin », a-t-il dit, dénonçant une « obstruction » au sujet des transferts de technologie. « Si cette attitude se poursuit, nous procéderons avec l’autre partenaire [l’Italie] », a-t-il prévenu.

Pour autant, ce 22 octobre, et toujours Bloomberg, le ministre turc e la Défense a remis sur la table le sujet de cette coopération avec Eurosam, en affirmant que des « pourparlers étaient en cours pour acheter des systèmes de missiles de construction française ou italienne. »

On peut penser que de telles déclarations visent à faire tanguer les relations franco-italiennes… Si Paris et Rome sont sur la même longueur d’onde quand il s’agit de condamner les actions turques en Méditerranée orientale, comme l’a montré la déclaration du dernier sommet Euromed, il en va autrement sur le dossier libyen, où comme la Turquie, l’Italie soutient le gouvernement d’unité nationale [GNA] installé à Tripoli [tout en participant, toutefois, à l’opération navale européenne lancée pour faire respecter l’embargo sur les armes, ndlr].

Quoi qu’il en soit, et selon des informations de Bloomberg, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, aurait évoqué le sujet de la coopération avec Eurosam lors d’un entretien téléphonique avec Emmanuel Macron, fin septembre, alors que la Grèce venait de faire connaître son intention de se procurer 18 avions Rafale. Ce dernier lui aurait répondu que « la Turquie devait clarifier ses objectifs en Syrie avant que le déploiement de systèmes fabriqués en Europe puisse être envisagé », d’après une source proche de l’Élysée.

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