Libye : L’UE sanctionne Evguéni Prigojine, un proche du Kremlin accusé d’être lié au groupe paramilitaire Wagner
Le 20 août, Alexeï Navalny, l’un des principaux opposants au président Poutine, a été hospitalisé à Omsk [Sibérie] dans un état grave. Plongé dans le coma, et à la demande des autorités allemandes, il a ensuite été transféré dans un hôpital de Berlin, via un avion médicalisé de l’ONG « Cinema for Peace ». L’ayant examiné, les médecins ont conclu à un empoisonnement.
Suite à cela, la chancelière Angela Merkel et le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borell, ont demandé à Moscou d’ouvrir une enquête « en toute transparence » sur cette affaire. Une requête qui a été mal reçue en Russie… alors que, seon les autorités russes, le gouvernement allemand n’aurait pas répondu à une demande d’aide judiciaire qui lui avait été adressé par le parquet national russe.
Quoi qu’il en soit, le 2 septembre, et alors que l’état d’Alexeï Navalny s’améliorait lentement, Berlin a assuré avoir la « preuve sans équivoque » qu’il avait été victime d’un empoisonnement à un agent neurotoxique de type Novitchok, comme l’ex-colonel russe Sergueï Skripal au Royaume-Uni, en 2018. Deux laboratoires travaillant pour l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques [OIAC], l’un français, l’autre suédois, ont confirmé les affirmations allemandes.
Ce que Moscou a catégoriquement nié. Mieux : lors d’un entretien téléphonique avec Emmanuel Macron, son homologue français, le président Poutine a émis l’hypothèse que l’opposant s’était peut-être empoisonné lui-même, ajoutant que l’un des concepteurs du Novitchok vivait en Lettonie. Ce qui n’a pas convaincu le locataire de l’Élysée, ni la chancelière allemande.
Pour autant, Moscou n’a pas dévié de sa ligne. Le 25 septembre, alors que des menaces de sanctions européennes étaient dans l’air, la diplomatie russe a estimé que cette affaire était une « nouvelle mise en scène ayant pour thème l’utilisation imaginaire de l’arme chimique, cette fois non pas en Syrie ou en Grande Bretagne, mais chez nous, en Russie. »
Finalement, l’Union européenne [UE], qui avait déjà prévenu qu’elle se réservait le « droit des prendre des mesures appropriées, y compris des mesures restrictives » dans le cadre de cette affaire, a mis ses menaces à exécution, après que les 27 États membres ont réussi à se mettre d’accord.
Ainsi, ce 15 octobre, l’UE a annoncé des sanctions à l’égard de plusieurs proches du Kremlin pour leur responsabilité dans l’affaire « Navalny », dont le vice-ministre de la Défense, Pavel Popov, Alexeï Krivoroutchko, vice-ministre de la défense chargé des armements, Andreï Iarine, chef de la direction des affaires intérieures de l’administration présidentielle, Sergueï Kirienko, son adjoint ainsi que Aleksandr Bortnikov, le directeur du FSB, et Sergueï Meniaïlo, représentant spécial de M. Poutine. En outre, l’Institut d’État pour la recherche scientifique en chimie organique et en technologie [GosNIIOKhT], a également été sanctionné.
Compte tenu du poste à responsabilités qu’ils occupent, les six individus cités sont accusés « d’avoir aidé les personnes qui ont commis l’empoisonnement d’Alexeï Navalny au moyen de l’agent neurotoxique Novitchok ou qui ont été impliquées dans cet empoisonnement, lequel constitue une utilisation d’armes chimiques au sens de la convention sur les armes chimiques. »
Outre ces mesures, l’UE a également pris des sanctions à l’égard d’un proche de M. Poutine, à savoir Evguéni Prigojine, décrit comme étant « l’homme des basses oeuvres de Moscou ». S’il avait des raisons à vouloir à Navalny, ce dernier n’a pas été sanctionné pour un rôle éventuel dans son empoisonnement mais… pour son implication en Libye.
M. Prigojine est « un homme d’affaires russe entretenant des relations étroites, y compris financières, avec une société militaire privée, le groupe Wagner », est-il affirmé dans le journal officiel de l’Union européenne. Il « joue ainsi un rôle dans les activités du groupe Wagner en Libye et leur apporte un soutien, ce qui met en danger la paix, la stabilité et la sécurité dans le pays », y lit-on.
Et le document d’ajouter : « Le groupe Wagner est impliqué dans des violations multiples et répétées de l’embargo sur les armes en Libye établi dans le cadre de la résolution 1970 [2011] du Conseil de sécurité des Nations unies et transposé à l’article 1er de la décision [PESC] 2015/1333, y compris la livraison d’armes ainsi que le déploiement de mercenaires en Libye en soutien à l’Armée nationale libyenne. Le groupe Wagner a pris part a de nombreuses opérations militaires contre le gouvernement d’entente nationale soutenu par les Nations unies et il a contribué à saper la stabilité de la Libye et à compromettre l’émergence d’un processus pacifique. »
La Turquie a également violé l’embargo sur les armes à destination de la Libye… Et elle y a même envoyé des mercenaires, recrutés parmi les groupes armés syriens qu’elle soutient. Mais son cas devrait être évoqué le 16 octobre par le Conseil de l’UE. C’est en effet ce qu’a déclaré M. Macron, à son arrivée à Bruxelles.
Cela étant, les sanctions qui ont été prises à l’égard de ces responsables russes vont compliquer le dialogue avec la Russie que le président français appelait de ses voeux, l’an passé.
« Les responsables de la politique étrangère en Occident ne saisissent pas le besoin d’un dialogue empreint de respect mutuel. Nous devons peut-être arrêter de prendre l’attache avec eux pour un moment », a en effet déclaré Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères. « La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dit que le partenariat géopolitique avec le l’actuel gouvernement russe ne fonctionne pas. Et bien, qu’il en soit ainsi », a-t-il ajouté. Avec ces sanctions, le « Conseil de l’UE nuit aux relations avec notre pays », a, de son côté, estimé Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin. Et de prévenir que la réponse de Moscou « sera conforme aux intérêts de la Russie. »
En septembre, lors d’un déplacement dans les pays baltes, M. Macron avait évoqué les relations franco-russes en disant : « Aussi vrai qu’il faut être deux pour faire le tango, il faut être deux pour dialoguer et donc ça dépend aussi de la volonté de la partie engagée d’avancer ou pas. » Et d’ajouter : « Nous verrons d’ailleurs ce que ce dialogue peut produire comme résultat positif » et « c’est ce qui nous permettra de construire une relation [avec la Russie] beaucoup plus stable et plus protectrice. »
En outre, M. Macron avait aussi expliqué vouloir « une forme de normalisation de nos relations avec la Russie parce que nous partageons le même espace, parce que nous voulons qu’il n’y ait plus de cyberattaques, qu’il n’y ait plus de déstabilisation de notre démocratie et un règlement des conflits régionaux, l’Ukraine au premier chef. »
À Bruxelles, le président Macron a donc dû ménager son discours. Assurant que la France avait « poussé » pour que des « sanctions soient prises » dans le cadre de l’affaire Navalny, il a dit toujours croire à un « dialogue transparent mais exigeant » avec Moscou. Mais, a-t-il continué, si « la Russie partage ce continent, nous ne saurions céder, renoncer à nos principes et nos ambitions, en particulier quand il s’agit des armes chimiques. »