Pour Paris, la Turquie est impliquée militairement dans le conflit du Haut-Karabakh; Moscou s’impatiente

La semaine passée, le président Macron avait appelé l’Otan à « regarder en face » les actions de la Turquie, accusée d’envoyer des « combattants de groupes jihadistes » recrutés en Syrie en Azerbaïdjan, via Gaziantep. Un « fait très grave, nouveau, qui change la donne », avait-il insisté, confirmant ainsi une accusation portée par la Russie.

Ces « mercenaires » auraient été envoyés en Azerbaïdjan peu avant le 27 septembre, soit quelques jours seulement avant le début des combats entre les forces azerbaïdjanaises et celles du Haut-Karabakh, territoire séparatiste dont la population est essentiellement arménienne.

Dans cette affaire, la Turquie est un soutien indéfectible de l’Azerbaïdjan et ne perd jamais une occasion pour accabler l’Arménie, qui appuie les revendications du Haut-Karabakh. Et certains vont même jusqu’à penser qu’Ankara a incité Bakou à (re)lancer les hostilités afin de reprendre un territoire qui lui fut arbitrairement attribué par Staline dans les années 1920.

Mieux : selon Erevan, et au-delà de l’envoi de « mercenaires », les forces turques seraient directement impliquées dans les combats au Haut-Karabakh, en soutien de leurs homologues azerbaïdjanaises. Ainsi, l’état-major arménien a affirmé que l’un de ses avions d’attaque Su-25 Frogfoot a été abattu par l’un des F-16 envoyés en Azerbaïdjan à l’occasion de manoeuvres militaires organisées durant l’été dernier.

Pour appuyer cette allégation, la porte-parole du ministère arménien de la Défense, Chouchan Stepanian, a diffusé, via les réseaux sociaux, une carte censée montrer non seulement l’activité de ces F-16 mais aussi celles d’avions de type AWACS turcs. Seulement, cette « preuve » ainsi produite reste bien insuffisante pour démontrer une telle implication turque.

Cependant, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, ce 7 octobre, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a évoqué cette implication militaire de la Turquie dans le conflit du Haut Karabakh, sans pour autant en préciser le contours.

« La nouveauté c’est qu’il y a une implication militaire de la Turquie qui risque d’alimenter l’internationalisation du conflit », a en effet affirmé M. Le Drian, qui a par ailleurs confié avoir des échanges « toniques » avec son homologue turc, Mevlut Cavusoglu. « Il faut qu’il y ait avec la Turquie une grande clarification. […] Nous avons des sujets irritants, voire conflictuels, qui s’accumulent », a-t-il aussi souligné.

Cela étant, faisant partie du Groupe de Minsk, qui avait obtenu, en 1994, la fin des combats opposant l’Azerbaïdjan et l’Arménie au sujet du Haut-Karabakh, la France n’entend pas prendre partie dans ce conflit, son rôle, a rappelé M. Le Drian, devant se limiter à celui de médiateur. Pour autant, il a déploré le « nombre nombre important de victimes civiles pour des avancées territoriales faibles de la part de l’Azerbaïdjan, puisque c’est l’Azerbaïdjan qui a initié le conflit. »

Quoi qu’il en soit, l’Union européenne ainsi que les membres du Groupe de Minsk [qui, outre la France, réunit la Russie et les États-Unis] ont dit craindre une internationalisation du conflit. Et, effectivement, c’est une issue possible.

Ayant de bonnes relations avec l’Arménie [chrétienne] tout en ménageant l’Azerbaïdjan [chiite] en raison de la forte proportion d’Azéris parmi sa population, l’Iran [chiite] a une nouvelle fois estimé que la solution au problème du Haut-Karabakh ne pouvait pas être militaire… Mais, ce 7 octobre, le président iranien, Hassan Rohani, a fait savoir que Téhéran ne tolérera pas la présence de « terroristes » près de ses frontières septentrionales [celles avec l’Azerbaïdjan et l’Arménie, ndlr].

« Il est inacceptable pour nous que certains veuillent transférer des terroristes de Syrie et d’autres endroits vers des régions proches de nos frontières », a ainsi déclaré M. Rohani, en évoquant les « mercenaires » syriens stipendiés par la Turquie, avant de fustiger « ceux qui, d’un côté ou de l’autre, versent de l’huile sur le feu. »

La veille, et selon l’agence Fars, le ministre iranien de la Défense, le général Amir Hatami, avait annoncé le déploiement d’unités d’artillerie dans les zones frontalières avec l’Azerbaïdjan et l’Arménie. « La sécurité des frontières de l’Iran est une question politique et vitale qui est d’une extrême importance pour les Forces armées iraniennes qui sont capables de défendre le territoire national », aurait-il affirmé.

En Russie, le président Poutine a qualifié le conflit « d’énorme tragédie ». Et, comme il l’a fait avec ses homologues français et américain, il de nouveau appelé « à un cessez-le-feu ». Et d’insister : « C’est au plus vite qu’il faut le faire », alors que, au 11e jour des combats, la moitié de la population du Haut-Karabakh aurait été déplacée.

Pour le moment, Moscou reste sur la réserve. Mais cela pourrait évoluer à l’avenir, l’Arménie étant membre de l’Organisation du Traité de sécurité collective [OTSC], une alliance politico-militaire qui, formée à l’initative de la Russie, dispose d’une clause de défense collective.

Ainsi, M. Poutine a assuré que la Russie « tiendrait ses engagements » en cas d’attaque directe contre l’Arménie. « Si un pays membre du traité est attaqué […] alors les autres membres du traité ont l’obligation de le défendre », a rappelé le Kremlin. Un rappel qui est aussi une façon de faire comprendre à Bakou qu’il ne faut pas aller trop loin…

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