Ottawa ouvre une enquête sur le possible usage de matériels militaires canadiens par l’Azerbaïdjan

Peu après le début des hostilités au Haut-Karabakh, le 27 septembre, le ministère azerbaïdjanais de la Défense a diffusé des vidéos montrant la destruction de chars T-72 et de véhicules de combat d’infanterie BMP-2 de l’Armée de défense de la République du Haut-Karabagh par des drones.

Si le type des appareils utilisés n’a pas été précisé, il est possible qu’il s’agisse de drones Bayraktar TB2 qui, produits par le groupe turc Baykar, peuvent emporter deux missiles antichar UMTAS développés par Roketsan. En juin, Zakir Hasanov, le ministre azerbaidjanais de la Défense, avait en effet indiqué que son pays envisageait d’en acquérir plusieurs dizaines d’exemplaires. Auraient-ils déjà été livrés? Ou la Turquie en a-t-elle prêté quelques unités?

En tout cas, ces drones de facture turque sont dotés d’une caméra MX-15 développée par le groupe canadien L3Harris Wescam. D’ailleurs, selon la presse canadienne, le « programme de drone du régime Erdogan est si avancé que la Turquie est devenue le deuxième client en importance de cette entreprise, après les États-Unis. »

Ce qui, quelques jours avant la reprise des hostilités au Haut-Karabakh, était déjà un sujet de préoccupation à Ottawa, un rapport ONG Project Ploughshares ayant évoqué « un risque substantiel » de voir ses capteurs optroniques être « utilisés pour violer le droit humanitaire international ».

« Au cours des récentes opérations, les forces turques ont été accusées à plusieurs reprises de frappes aériennes aveugles contre les civils et les sites civils tels que les hôpitaux, les écoles, les centres culturels et les infrastructures critiques », a ainsi relevé ce rapport, évoquant les interventions de la Turquie dans le nord-est de la Syrie et en Libye. Et « en continuant d’exporter ces capteurs à la Turquie, le Canada contrevient au Traité sur le commerce des armes », a fait valoir Kelsey Gallagher, son auteur.

Aussi, dès la publication de ce rapport, le 22 septembre, l’opposition canadienne a demandé au gouvernement de Justin Trudeau d’ouvrir une enquête. D’autant plus qu’Ottawa avait décidé de suspendre ses exportations d’équipements militaires vers la Turquie au moment de l’offensive lancée par cette dernière contre les milices kurdes syriennes, en octobre 2019. Une décision prolongée « indéfiniment » en avril de cette année.

Seulement, rapporte Radio Canada, le gouvernement canadien aurait consenti quelques exceptions. Et selon des sources gouvernementales, la « question des exportations des armes a été soulevée » lors d’un échange téléphonique entre M. Trudeau et Recep Tayyip Erdogan, le président turc, le 23 avril.

Sollicité par Radio Canada pour éclaircir ce point, le ministère canadien des Affaires étrangères a répondu que le « Canada examinera au cas par cas s’il existe des circonstances exceptionnelles, comme entres autres, mais pas exclusivement, les programmes de coopération de l’Otan, lesquels pourraient justifier la délivrance d’une licence d’exportation pour les articles du groupe 2 [militaire]. »

Toujours est-il que, selon la presse canadienne, Ottawa aurait autorisé L3Harris Wescam à exporter ses capteurs optroniques vers la Turquie, au bénéfice, en particulier, de Baykar.

Alors que la capitale du Haut-Karabakh, Stepanakert, a été visée par des frappes et que Bakou exclut tout cessez-le-feu, le Premier ministre canadien a annoncé l’ouverture de l’enquête exigée par ses opposants.

« Nous sommes extrêmement préoccupés par la situation au Nagorny-Karabakh […] Et en ce qui concerne les équipements militaires canadiens qui auraient pu être utilisés dans cette situation, le ministre des Affaires étrangères [François-Philippe Champagne] a lancé une enquête sur ce qui s’est passé exactement », a déclaré M. Trudeau. « Il est extrêmement important que les termes des attentes du Canada en matière de non violation des droits de l’homme soient toujours respectés, et nous pourrons vous en dire plus à mesure que les choses se préciseront », a-t-il ajouté.

Selon le ministère canadien des Affaires étrangères, la Turquie est devenue, ces dernières années, le troisième client de le base industrielle et technologique de défense [BITD] canadienne, avec un volume de commandes s’établissant à 150 millions de dollars canadiens en 2019, contre seulement 4 millions trois ans plus tôt.

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