Envoi de « jihadistes » au Haut-Karabakh : M. Macron appelle l’Otan à « regarder en face » les actions de la Turquie

« Retenez-moi ou je fais un malheur ». Telle est, en susbtance, la teneur du message que l’Union européenne a envoyé à Ankara au sujet de ses forages jugés illégaux dans les eaux de la République de Chypre.

« Nous voulons une relation positive et constructive avec la Turquie, ce qui serait aussi dans l’intérêt d’Ankara. Mais cela ne sera possible que lorsque les provocations et les pressions cesseront. Nous attendons donc de la Turquie qu’elle s’abstienne de toute action unilatérale. Si elle reprend de telles opérations, l’Union européenne fera usage de tous les instruments [comprendre : des sanctions, ndlr] », dont elle dispose », a en effet prévenu Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, lors d’un sommet réunissant à Bruxelles les chefs d’État et de gouvernement des 27 États membres, le 1er octobre.

Auparavant, le président français, Emmanuel Macron, s’était montré ferme. « La solidarité à l’égard de la Grèce et de Chypre […] est non négociable », avait-il dit, dès son arrivée à Bruxelles. « Quand un État membre de l’UE est attaqué, menacé, lorsque ses eaux territoriales ne sont pas respectées, il est du devoir des Européens de se montrer solidaires », avait-il ajouté. Un propos nuancé par la chancelière allemande, Angela Merkel, pour qui « l’Union européenne a beaucoup d’intérêt à développer une relation réellement constructive avec la Turquie, malgré toutes les difficultés. » La position allemande a donc prévalu.

En revanche, les 27 membres de l’UE ont su se mettre d’accord pour sanctionner la Biélorussie. Ou du moins une quarantaine de responsables, accusés d’avoir jouer un rôle dans la répression des manifestations contestant la réelection d’Alexandre Loukachenko [qui ne figure cependant pas sur la liste des personnalités sanctionnées]. Mais c’est une autre affaire.

Pourtant, les sujets de contentieux avec la Turquie ne manquent pas : instrumentalisation de la question migratoire, menace sur les intérêts de la Grèce et de la République de Chypre, offensive contre les milices kurdes syriennes, pourtant partenaires de premier plan dans la lutte contre l’État islamique [EI ou Daesh], intervention en Libye et, désormais, envoi de combattants auprès des forces azerbaïdjanaises, engagées depuis le 27 septembre au Haut-Karabakh, un territoire soutenu par l’Arménie.

Et c’est d’ailleurs ce dernier point que le président Macron a évoqué avec insistance à Bruxelles. Dans un premier temps, il a confirmé que des informations selon lesquelles la Turquie aurait recruté des combattants parmi les groupes rebelles syriens qu’elle soutient pour les envoyer ensuite en Azerbaïdjan.

« Nous disposons d’informations aujourd’hui, de manière certaine, qui indiquent que […] des combattants de groupes jihadistes, en transitant par Gaziantep, [ont rejoint] ce théâtre d’opérations du Haut-Karabakh », avait-il dit, y voyant un « fait très grave, nouveau, qui change aussi la donne. »

Plus tard, le président français est revenu à la charge, en adoptant un ton plus mordant. Ainsi, a-t-il d’abord précisé, « 300 combattants jihadistes » auraient quitté la Syrie pour rejoindre l’Azerbaïdjan via la Turquie.

« Une ligne rouge est franchie. Je dis que c’est inacceptable, et j’invite l’ensemble des partenaires de l’Otan à regarder simplement en face ce qu’est un comportement de membre de l’Otan : je ne pense pas que ça en relève », a lancé Emmanuel Macron, devant la presse. « D’autres contingents se préparent, à peu près de la même taille […] Une ligne rouge est franchie […] c’est inacceptable », a-t-il insisté.

« J’appellerai le président Erdogan dans les tout prochains jours parce qu’en tant que coprésident du groupe de Minsk je considère que c’est la responsabilité de la France de demander des explications », a également indiqué M. Macron.

Pour rappel, au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe [OSCE], le groupe de Minsk, formé par la France, la Russie et les États-Unis, est le médiateur entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie sur la question du Haut-Karabakh.

En attendant, et malgré les appels au cessez-le-feu lancés par la communauté internationale [à l’exception de la Turquie, qui soutient et encourage l’Azerbaïdjan], les combats se poursuivent. Et ils donnent lieu à des communiqués contradictoires selon qu’ils sont publiés par l’un ou l’autre camp.

En tout cas, dans un entretien donné au quotidien Le Figaro, le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a accusé la Turquie de participer directement au conflit. « Ils [les Azerbaïdjanais, ndlr] utilisent des drones et des F-16 turcs pour bombarder des zones civiles au Haut-Karabakh. […] Il y a des preuves que des commandants militaires turcs sont directement impliqués dans la direction de l’offensive. Ankara a fourni à Bakou des véhicules militaires, des armes, ainsi que des conseillers militaires. Nous savons que la Turquie a formé et transporté des milliers de mercenaires et terroristes depuis les zones occupées par les Turcs dans le nord de la Syrie », a-t-il affirmé.

Par ailleurs, et preuve de la complexité de cette affaire, bien que la population azerbaïdjanaise est majoritaitement chiite, Téhéran soutient Erevan tandis qu’Israël, qui n’a pourtant pas de bonne relations avec Ankara, vend des armes… à l’Azerbaïdjan. Ce qui donne lieu à des tensions diplomatiques entre l’Arménie et l’État hébreu.

« Nous considérons comme inacceptables les livraisons par Israël d’armes ultramodernes à l’Azerbaïdjan, surtout au moment de l’agression azerbaïdjanaise soutenue par la Turquie », a fait valoir la diplomatie arménienne, après le rappel de son ambassadeur alors en poste à Tel-Aviv.

« Israël regrette la décision de l’Arménie de rappeler l’ambassadeur arménien en Israël pour des consultations. Israël attache de l’importance à sa relation avec l’Arménie et considère l’ambassade arménienne en Israël comme un outil important pour promouvoir des relations aux bénéfices de nos deux peuples », a ensuite réagi le ministère israélien des Affaires étrangères.

Selon l’Institut international de recherche de la paix de Stockholm [Sipri], Israël a été le premier fournisseur étranger connu d’équipements militaires à l’Azerbaïdjan entre 2017 et 2019, avec des échanges supérieurs 375 millions de dollars.

Photo : Manoeuvres turco-azerbaïdjanaises organisées en août 2020 © Ministère azerbaïdjanais de la Défense

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]