L’armée de Terre veut « tremper » le caractère de ses futurs officiers

Dans la vision stratégique qu’il a livrée avant l’été, le général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], a décrit un contexte marqué « par l’incertitude, renforcée par de nombreux bouleversements géopolitiques récents » ainsi que par le retour de la force militaire « comme mode de règlement des conflits », que ce soit selon des « formes connues, directes et assumées » ou selon des « modes d’action nouveaux, imprévisibles et plus insidieux, privilégiant l’intimidation et la manipulation, dans une forme de guerre nouvelle, indiscernable et non revendiquée, pour obtenir par le fait accompli des gains stratégiques indéniables. »

Aussi, l’éventualité d’un « conflit dur » entre États n’est pas à écarter. Et l’ambition du général Burkhard est donc de disposer de forces terrestres « durcies, prêtes à faire face aux chocs les plus rudes jusqu’à l’affrontement majeur et aptes à emporter la décision ». Ce qui passe par un niveau d’exigence encore plus élevé en matière de préparation opérationnelle, afin de « forger des hommes capables de combattre jusque dans les champs les plus durs de la conflictualité. »

D’où le nouveau projet « ESCC 2030 » [.pdf], qui vise à réformer les enseignements des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan [ESCC] afin de donner à l’armée de Terre des officiers susceptibles, le cas échéant, de « décider du sort de la bataille et, peut-être, du pays tout entier. »

Partant du constat « d’un retard dans le domaine de la maturité » des futurs officiers « tant dans l’exercice de l’autorité que dans la prise en compte des enjeux sociétaux », alors qu’ils « seront immanquablement confrontés demain à des défis – techniques, humains, moraux – impitoyables », le projet « ESCC 2030 » vise  à « former des hommes et des femmes, épanouis dans l’exercice de l’autorité et possédant hauteur d’âme, discernement et ouverture d’esprit. » Et donc il estime nécessaire de « forger les caractères. »

« Le caractère du jeune officier de demain mérite aujourd’hui une attention accrue, autant que ses compétences. Acquérir ces dernières est naturellement un préalable, mais tremper
les caractères participe du même élan, qui considère l’individu dans sa globalité, pour lui donner la maturité, la légitimité et la confiance en lui, indispensables au regard des responsabilités exorbitantes auquel il aspire, dans un environnement de plus en plus difficile à saisir », est-il expliqué dans ce projet.

Pour cela, le nouveau projet pédagogique insiste sur l’éducation [combativité et intelligence] et la maturité [autorité et humanité] des futurs officiers.

Ainsi, concernant la combativité, l’accent sera mis sur l’endurcissement, qui « se construit […] lors de séquences-clés d’aguerrissement » et qui s’entretient quotidiennement par le « maintien d’un relatif inconfort physique et psychologique dans la vie de tous les jours ».

L’audace est également mise en avant. Il est attendu des futurs officiers qu’ils soient « capables de faire preuve d’une grande vivacité d’esprit pour prendre des décisions extrêmement rapidement et maîtrisant les langages véhiculaires [anglais, nouvelles technologies…] pour exprimer au plus vite leurs pensées et diffuser leurs ordres. » Et cela suppose de leur apprendre à « dominer leur inhibition et leur potentielle ‘paralysie intellectuelle’ face au risque. »

Les futurs officiers devront en outre être pragmatiques, ce qui leur sera utile dès lors qu’il seront amenés à agir en « mode dégradé », c’est à dire « sans technologie mais également sans véhicules,
sans fusils, sans ravitaillement, et même dans une forme physique diminuée », l’idée étant de former des cadres capables « de
définir un juste niveau de dépendance à la technologie. »

Par ailleurs, au chapitre de « l’intelligence », le plan « ESCC 2030 » explique que « le socle de connaissances n’est pas une fin en soi, au risque de ne faire de l’officier de demain qu’un érudit au lieu d’un chef capable de prendre les bonnes décisions. » En clair, plus qu’apprendre, les futurs officiers devront « comprendre », ce qui est « essentiel pour donner du sens aux connaissances et les
mettre en perspective. »

« La compréhension doit permettre de développer chez l’élève-officier une lecture critique des évènements en confrontant les points de vue et expériences diverses », est-il expliqué dans le document.

En conséquence, l’enseignement sera modernisé afin « d’optimiser la formation des corps et des esprits » étant donné que le « monde qui vient exigera des officiers rompus à l’adversité et sachant comprendre vite et bien les situation complexes ». Ce qui passera, particulièrement pour l’École spéciale militaire [ESM], par un nouvel équilibre entre son statut de « grande école » [et ses invariants académiques] et le renforcement de son identité militaire.

En 2014, alors qu’il était en question de réduire les effectifs des armées, un décret fut publié pour ouvrir l’ESM à des élèves n’ayant pas forcément vocation à devenir officier de carrière. Visiblement, cette orientation n’est plus de mise…

En tout cas, le projet « ESCC 2030 » parle de « densifier l’enseignement de la culture militaire générale au sens large avec une approche pluridisciplinaire transverse [de l’histoire à la sociologie, de la philosophie à la stratégie] ».

S’agissant de la « maturité », il s’agira toujours de former des officiers sachant obéir et se faire obéir mais aussi capables de « décider » et de « guider » [ce qui est le propre d’un chef], mais en insistant sur deux qualités à développer, à savoir la force de caractère et la bienveillance, lesquelles « doivent être au cœur des ambitions pédagogiques. »

Le projet propose ainsi de « saisir toute occasion pour mettre en situation de responsabilité au quotidien les élèves » officiers, « d’avancer et de densifier la première expérience en corps de troupe des Saint-Cyriens » ou encore de « remettre au goût du jour le ‘savoir-vivre militaire' ». Sur ce point, il fut une époque où les jeunes cyrards devaient obligatoirement passer un an en régiment en tant que simple soldat avant d’entamer leur scolarité [le général de Gaulle a par exemple été caporal au 33e Régiment d’Infanterie…]. A priori, on comprend qu’il s’agit à nouveau de s’inspirer de cette pratique…

En outre, il estime « impératif » que les élèves officiers « sachent tout à la fois discerner, incarner et transmettre ».

Ainsi, leur formation « doit marquer une réappropriation de la philosophie et de l’éthique pour s’assurer que l’officier de demain comprenne, à défaut de maîtriser, les ressorts de l’âme et de l’esprit. » Et il lui sera demandé d’être exemplaire en toute circonstance car il aura à endosser « l’habit de l’homme qu’il incarne aux yeux de ses subordonnés comme de ses concitoyens. »

« Là où les sociétés modernes poussent vers l’individualisme, l’officier doit rester celui qui rassemble et qui édifie en assumant son rôle social. Pour cela, l’état d’officier ne peut s’accommoder d’une vision dichotomique ‘vie privée – vie professionnelle’. Chacun doit mesurer que l’exemplarité ne peut être réelle que si elle est totale, et qu’à ce titre le statut d’officier oblige
plus qu’il ne permet », insiste le plan « ESCC 2030 ».

Pour mener à bien cette réforme du projet pédagogique, ce dernier insiste sur la « cohésion des différentes écoles de formation initiale et modes de recrutement » ainsi que sur la « soutenabilité », ce qui passera par la modernisation des ESCC « en les dotant de moyens adaptés aux ambitions de remontée en puissance, voire en procédant à un audit complet du système de soutien. »

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