L’Autriche est d’accord pour négocier la vente de ses Eurofighter à l’Indonésie

Cela fait maintenant quelques années que Pékin met la pression sur les îles Natuna qui, appartenant à l’Indonésie, sont englobées dans la « ligne en neuf traits » qui délimite les secteurs de la mer de Chine méridionale sur lesquels la Chine revendique sa souveraineté. D’où des tensions récurrentes avec Jakarta.

Aussi, les autorités indonésiennes cherchent-elles à renforcer les capacités de leurs forces armées. En février 2018, elles annoncèrent un accord avec Moscou pour acquérir 11 avions de combat Su-35 « Flanker E » pour un montant de 1,14 milliard de dollars, financé en partie par des paiements en nature [il était question de livrer à la Russie du thé, du caoutchouc et de l’huile de palme, ndlr].

Depuis, ce contrat est toujours en « cours de finalisation ». Et, visiblement, il n’est près de l’être. Certes, les négociations ont pris du retard à cause de l’élection présidentielle de 2019. Mais, outre un possible désaccords sur les compensations industrielles avec Moscou, il apparaît surtout que Djakarta hésite à donner suite à ce projet d’achat, lequel pourrait lui valoir des sanctions de la part des États-Unis, au titre de la loi dit CAATSA [Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act].

Ces derniers mois, d’autres hypothèses ont été avancées. Il a ainsi été question de l’achat de F-16V « Viper » auprès de Lockheed-Martin, voire de F-35A. Puis, en janvier, à l’occasion d’une visite en France du ministre indonésien de la Défense, Prabowo Subianto, l’hypothèse d’une acquisition possible de 48 Rafale s’est fait jour.

A priori, la seule certitude est que le projet d’acquérir 11 Su-35 est dans l’impasse. Selon le site RedSamovar, qui a repéré le calendrier des livraisons à l’exportation de cet appareil dans une vidéo diffusée à l’occasion d’une visite du ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, à l’usine KnAAZ de Komsomolsk-sur-l’Amour,  30 Su-35 doivent être livrés à l’Égypte d’ici 2021 et 34 autres exemplaires le seront également entre 2022 et 2024. À qui? Mystère. Mais pas à l’Indonésie, en tout cas.

Quoi qu’il en soit, en juillet, M. Prabowo a surpris tout le monde en adressant un courrier à Klaudia Tanner, son homologue autrichienne, pour lui demander d’ouvrir des négociations en vue d’acquérir les 15 avions Eurofighter Typhoon [tranche 1] dont Vienne a l’intention de se débarrasser, leur acquisition, faite dans des conditions opaques en 2003, n’ayant cessé d’alimenter la polémique.

« Pour atteindre mon objectif de modernisation de la force aérienne de l’air indonésienne, je voudrais donc proposer d’entrer en négociation officielle avec vous […] pour l’achat des 15 Eurofighter. […] Comme j’ai toujours été impressionné par les technologies et le savoir-faire européens, je vous demanderais de bien vouloir soutenir [cette] proposition, qui, espérons-le, entraînera un bénéfice mutuel pour nos deux pays », avait écrit le ministre indonésien.

Alors que le gouvernement autrichien a engagé un bras de fer avec Airbus [membre du consortium Eurofighter] en assurant avoir été « délibérément trompé » par l’industriel sur le prix et les « vrais capacités » des avions, une telle demande était tellement inespérée que, à Vienne, on s’est interrogé sur l’authenticité de la lettre de M. Prabowo.

Quoi qu’il en soit, et selon le journal Kronen Zeitung, Mme Tanner a donné son feu vert à la revente des Eurofighter à Jakarta. « Nous informons maintenant l’Indonésie que nous examinerons légalement la vente et discuterons avec toutes les personnes concernées. C’est notre responsabilité envers tous les contribuables et la revente des Eurofighter est notre objectif déclaré », a-t-elle affirmé. Il est estimé que cette transaction pourrait rapporter 600 millions d’euros, ce qui permettrait de financer l’achat de nouveaux avions de combat [le JAS-39 Gripen suédois étant donné favori].

Seulement, l’affaire s’annonce compliquée. Pour que la vente puisse se faire, il faudrait que l’Autriche ait l’accord du consortium Eurofighter et des quatre pays qui y sont représentés [Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Espagne]. Les États-Unis auraient également leur mot à dire, en raison de la présence de composants américains dans les avions autrichiens.

Une autre solution serait qu’Airbus rachète les 15 appareils afin de les moderniser et de les revendre ensuite à l’Indonésie. A priori, ce scénario semble le plus probable. D’une part, Airbus pourrait obtenir l’arrêt de la précédure judiciaire dont il faut l’objet en Autriche et, d’autre part, il lui permettrait de prendre pied en Asie, après plusieurs échecs [notamment en Inde].

Seulement, l’initiative de M. Prabowo n’a pas été du goût de tout le monde en Indonésie, les plus critiques estimant qu’acquérir des avions de seconde main n’est pas la chose la plus pertinente à faire. Et de souligner que les appareils en question ne sont pas les plus modernes et que le coût d’entretien est élevé.

En outre, se pose la question des compensations industrielles, que le gouvernement indonésien doit impérativement obtenir dès lors qu’il est question de notifier un marché public concernant la défense [loi 2012-16]. Or, dans le cas d’un achat d’Eurofighter d’occasion, une telle disposition ne pourra pas être appliquée.

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