Dirigé par des militaires, un « Comité national pour le salut du peuple » a pris le pouvoir à Bamako

Au cours de ces dernières heures, les événements se sont accélérés à Bamako, où ce qui avait d’abord été pris pour une mutinerie de soldats aux revendications obscures s’est finalement révélé être une tentative de coup d’État réussie, menée par un groupe d’officiers maliens réunis au sein d’un « Comité national pour le salut du peuple ».

Dès le début des troubles, plusieurs arrestations de haut responsables furent annoncées, dont celle du président malien, Ibrahim Boubacar Keïta [IBK], par ailleurs contesté depuis plusieurs mois, notamment par le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques du Mali [M5-RFP]. Mais c’était aller un peu vite en besogne. Du moins pour ce dernier.

En effet, l’Élysée indiqua, en début de soirée, qu’Emmanuel Macron venait d’avoir un échange téléphonique avec son homologue malien, ainsi qu’avec Alassane Ouattara, le président de la Côte d’Ivoire, le président sénégalais Macky Sall et le président nigérien Mahamadou Issoufou, dont le pays est assure actuellement la présidence tournante de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.

Selon le communiqué de la président française, M. Macron fit alors part de son soutien aux efforts de médiation de la CEDEAO au Mali, laquelle venait d’appeler au maintien de l’ordre constitutionnel et d’exhorter les militaires à regagner leurs casernes. Une position partagée par Paris. La France « condamne avec la plus grande fermeté » la « mutinerie » et « réaffirme avec force son plein attachement à la souveraineté et à la démocratie maliennes », affirma en effet Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères.

Dans le même temps, l’Union européenne, par la voix de son chef de la diplomatie, Josep Borrell, condamna « la tentative de coup d’Etat en cours au Mali ». L’UE « rejette tout changement anticonstitutionnel. Ceci ne peut en aucun cas être une réponse à la profonde crise sociopolitique qui frappe le Mali depuis plusieurs mois », fit-il valoir.

Mais ces condamnations et autres avertissements n’auront donc pas empêché l’arrestation, par les putschistes, du président Keïta ainsi que celle de son Premier ministre, Boubou Cissé. Ce dernier n’avait pas, semble-t-il, pris la mesure des événements.

Dans un communiqué diffusé un peu plus tôt, M. Cissé avait en effet parlé de « mouvements d’humeur » traduisant « une certaine frustration qui peut avoir des causes légitimes. » Et d’ajouter, en appelant au « sens patriotique » : « Le Gouvernement du Mali demande aux auteurs de ces actes de se ressaisir. Il n’y a pas de raisons au dessus de notre cher Mali qui vaillent des actes dont l’issue incertaine peut déboucher sur des actes dommageables pour la Nation entière. »

« Le Gouvernement appelle à l’apaisement et se rend disponible dès l’instant de ce communiqué pour engager un dialogue fraternel afin de lever tous les malentendus », avait-il conclu.

Dans la soirée, lors d’une allocution diffusée par l’ORTM, la télévision publique malienne, a ainsi annoncé sa démission ainsi que la dissolution du gouvernement et celle de l’Assemblée nationale. « Je voudrais à ce moment précis, tout en remerciant le peuple malien de son accompagnement au long de ces longues années et la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment », a-t-il dit.

A priori, le président Keïta et son désormais ancien Premier ministre seraient désormais retenus au camp Soundiata Keïta, à Kati, d’où est parti le putsch.

Il n’aura pas fallu attendre très longtemps pour connaître les intentions des militaires mutins. En effet, peu après l’annonce de la démission, sous la contrainte, d’IBK, cinq officiers supérieurs sont apparus dans une vidéo pour annoncer la mise en place d’un « Comité national pour le salut du peuple », via une déclaration lue par le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de la force aérienne malienne.

« Notre pays le Mali sombre de jour en jour dans le chaos, l’anarchie et l’insécurité par la faute des hommes chargés de sa destinée », a dénoncé le colonel-major Wagué, avant d’assurer que ce « quarteron » de colonels a l’intention de mener à bien une « transition politique civile » devant conduire à des élections générales dans une « délai raisonnnable », dans le cadre d’une « feuille de route qui conduira vers un Mali nouveau ».

En outre, le porte-parole du CNSP a également détaillé ses griefs à l’égard du gouvernement qu’il vient de renverser, citant la « gabegie », la « corruption », la « mauvaise gouvernance », la « gestion familiale des affaires de l’État », l' »insécurité chronique » [« l’horreur est devenue le quotidien du Malien », a-t-il estimé] ou encore les « atteintes aux droits fondamentaux. »

Le CNSP a lancé plusieurs appels. D’abord à l’adresse de la société civile malienne, dont il espère qu’elle l’aidera pour conduire la « transition démocratique ». Aux instances régionales ensuite, ainsi qu’aux forces internationales déployées dans le pays, à savoir Bakhane, Takuba, celles du G5 Sahel et de la Mission des Nations unies [MINUSMA], afin de « l’accompagner » pour la « stabilité et la restauration de la sécurité. »

Par ailleurs, et alors qu’un rapport de l’ONU, pas encore rendu public mais auquel l’AFP a pu avoir accès, accuse des responsables maliens, notamment ceux de direction de la Sécurité de l’Etat [DGSE] d’entraver le processus de paix avec les groupes armés signataires de l’accord d’Alger, signé en 2015, le CNSP a fait part de sa volonté de mettre en application les dispositions prévues par ce texte. « Rien ne doit entraver l’unité de la Nation malienne », a lancé le colonel-major Wagué. « Nous sommes attachés au processus d’Alger. La paix au Mali est notre priorité et elle se fera avec vous [les Maliens] », a-t-il ajouté.

Quoi qu’il en soit, la tâche s’annonce compliquée pour cette junte, dont les chefs seraient le général Dembele ainsi que les colonels Camara, Diaw et Sékou Lelenta. En effet, après la démission contrainte du préisdent Keïta, la CEDEAO a fait savoir qu’elle « dénie catégoriquement toute forme de légitimité aux putschistes » et qu’elle « exige le rétablissement immédiat de l’ordre constitutionnel », ainsi que la « libération immédiate » du président malien et de « tous les officiels arrêtés ». Et elle a suspendu le Mali de tous ses organes de décision « avec effet immédiat » et décidé la « fermeture de toutes les frontières terrestres et aériennes ainsi que l’arrêt de tous les flux et transactions économiques, commerciales et financières entre les [autres] pays membres de la Cédéao et le Mali. »

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, est sur la même ligne, ayant en effet aussi appelé à la « libération immédiate et sans conditions » d’Ibrahim Boubacar Keïta » et au « rétablissement immédiat de l’ordre constitutionnel. »

À la demande du Niger et de la France, qui dirige l’opération anti-terroriste Barkhane au Sahel, le Conseil de sécurité va se réunir en urgence, ce 19 août, pour évoquer la situation au Mali.

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