Confusion à Bamako, où circule une rumeur de tentative de coup d’État militaire

En mars 2012, alors qu’une nouvelle rébellion touarègue incarnée par le Mouvement national de libération de l’Azawad [MNLA] était sur le point de se faire doubler par plusieurs groupes jihadistes avec lesquels elle s’était associée, un coup d’État parti du camp militaire « Soundiata Keïta » de Kati, à 15 km de Bamako, renversa la président Amadou Toumani Touré au profit d’un « Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État » [CNRDRE] dirigé par le capitaine Amadou Sanogo.

Ce coup de force n’aida pas le Mali, bien au contraire. Pendant que le climat politique s’assombrissait à Bamako, les groupes jihadistes [Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, Signataires par le sang, al-Qaïda au Maghreb islamique et Ansar Dine] scellèrent leur emprise sur des territoires allant de la frontière algérienne jusqu’à une ligne reliant Tombouctou à Gao.

Et, faute de pouvoir légitime à la tête du pays, il était alors compliqué d’envisager quelque action que ce fût pour contrer l’avancée des islamistes radicaux. D’ailleurs, les États-Unis cessèrent leur programme d’assistance dont bénéficiait le Mali jusqu’au coup d’État. Finalement, le capitaine Sanogo consentit à remettre le pouvoir à Dioncounda Traoré, qui assura les fonctions de président par intérim. Ce qui facilita le déclenchement de l’opération française Serval, en janvier 2013.

Aussi, quand des coups de feu sont signalés au camp de Kati, comme cela a été le cas ce 18 août, on peut tout imaginer, y compris la possibilité d’un nouveau coup d’État, d’autant plus que le contexte politique malien s’y prête, étant donné que l’autorité du président Ibrahim Boubacar Keïta est fortement contesté depuis plusieurs semaines, notamment par le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques du Mali [M5-RFP], initié par l’influent imam salafiste Mahmoud Dicko.

Dans un premier temps, aucune explication officielle sur les tirs entendus au camp « Soundiata Keïta » n’a pu être donnée. Il a été avancé que des véhicules militaires venus de Bamako et lourdement armés firent irruption dans l’enceinte, ce qui aurait donné lieu à une brève riposte. Puis, que les armureries auraient été ouvertes et les armes distribuées aux soldats présents.

« Ce matin, des militaires en colère ont pris les armes au camp de Kati et ont tiré en l’air. Ils étaient nombreux et très nerveux », a témoigné un médecin de l’hôpital de Kati auprès de l’AFP. Cependant, au ministère malien de la Défense, on a refusé de parler de « mutinerie ».

Reste que les emprises diplomatiques installées dans la capitale maliennes ont recommandé la prudence à leurs ressortissants. Comme l’a fait l’ambassade de France. « Compte tenu des tensions rapportées ce matin 18 août à Kati et Bamako, il est instamment recommandé de rester chez soi », a-t-elle indiqué.

Via les réseaux sociaux, plusieurs vidéos montrant des convois militaires être applaudis par des civils ont été diffusées. Mais, là encore, ces images ne permettent de tirer aucune conclusion.

Cela étant, des informations selon lesquelles plusieurs ministres et haut responsables maliens auraient été arrêtés par les militaires ont très vite commencé à circuler. Celles qui ont fait état de des arrestations du ministre de l’Economie et des Finances, Abdoulaye Daffé, du président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné, et de plusieurs hauts gradés des Forces armées maliennes [FAMa] n’ont pas été démenties. En revanche, celles ayant affirmé que le Premier ministre, Boubou Cissé, et que le ministre de la Défense, le général Ibrahima Dahirou Dembélé, avaient été mis sous les verrous, se sont avérées infondées.

A priori, les militaires partis du camp de Kati auraient seulement bouclé les accès de Bamako. Et de radiotélévision du Mali [ORTM] ainsi que l’aéroport international « Modibo Kéita » de Sénou échapperait à leur contrôle.

Pour le moment, on ignore qui sont exactement ces « frondeurs ». Cependant, via les réseaux sociaux, il est dit qu’ils seraient dirigés par le genéral Dembele et les colonels Camara, Diaw, et Sékou Lelenta. Mais rien ne permet de le confirmer.

Quoi qu’il en soit, pour la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest [Cédéao], les évènements qui ont cours à Bamako relèvent d’une tentative de coup d’État. C’est, en tout cas, ce que suggère le communiqué qu’elle a publié.

La Cédéao « rappelle sa ferme opposition à tout changement politique anticonstitutionnel et invite les militaires à demeurer dans une posture républicaine », a-t-elle indiqué. « . En tout état de cause, elle condamne vigoureusement la tentative en cours et prendra toutes les mesures et actions nécessaires à la restauration de l’ordre constitutionnel », a-t-elle ajouté.

La diplomatie américaine est sur la même ligne. « Les États-Unis s’opposent à tout changement de gouvernement en dehors du cadre légal au Mali, y compris par l’armée, alors que des soldats ont pris mardi le contrôle d’un important camp militaire proche de Bamako », a rappelé Peter Pham, l’émissaire américain pour le Sahel.

Quant à la France, pour qui un éventuel coup d’État au Mali ne manquerait pas d’avoir des répercussions sur l’opération Barkhane, elle n’a pas encore réagi. Sans doute que le Quai d’Orsay attend d’y voir plus clair.

Sollicité par la Deutsche Welle, Etienne Fakaba Sissoko, directeur du Centre de recherche, d’analyses politiques, économiques, et sociales du Mali, émet deux hypothèse.

« Soit il s’agit bel et bien d’une tentative de coup d’Etat, mais en ce cas, elle n’implique pas toute l’armée si bien que de fortes résistances peuvent voir le jour », ce qui laisse craindre une nouvelle « fracture au sein de l’outil de défense entre ‘loyalistes’ et ‘putchistes' », lesquels « pourraient avoir le soutien d’une frange importante du mouvement de contestation. M5-RFP » ou soit il « pourrait s’agir d’un mouvement d’humeur à grande échelle au sein de l’armée auquel cas une mutinerie ne remettrait pas forcément en cause des institutions républicaines », a résumé M. Sissoko.

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