L’Iran et la Turquie critiquent la normalisation des relations entre les Émirats arabes unis et Israël

Le seul mérite que pouvait trouver Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien à l’accord sur le nucléaire iranien, signé en 2015 à Vienne par Téhéran et le groupe « 5+1 » [les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies et l’Allemagne] était d’avoir rapproché Israël avec les monarchies sunnites du golfe Persique.

« Je dois avouer que l’accord iranien a eu une conséquence positive. En donnant de la force à l’Iran, l’accord a rapproché Israël de nombreux États arabes plus que jamais auparavant. Une proximité et une amitié que je n’ai jamais vues de toute ma vie, et qui auraient été impensables il y a quelques années », avait en effet déclaré le chef de l’exécutif israélien, en septembre 2018, à la tribune des Nations unies. Et d’insister : « Israël accorde une grande valeur à ces nouvelles amitiés, et j’espère que le jour arrivera bientôt où Israël aura des accords de paix formels, au-delà de l’Égypte et de la Jordanie, avec d’autres nations arabes, y compris les Palestiniens. »

Et c’est ce qui vient de se passer avec les Émirats arabes unis, le 13 août, avec l’annonce faite par le président américain, Donald Trump, M. Nétanyahou et le prince héritier d’Abou Dabi, Mohammed Ben Zayed [MBZ]. Et cela, alors que les discussions jusqu’alors menées en vue de cette normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays était compromise en raison du projet d’Israël d’annexer une partie de la Cisjordanie.

« L’annexion mettra certainement fin aux aspirations israéliennes à de meilleures relations avec le monde arabe et les Émirats sur les plans sécuritaire, économique et culturel », avait en effet prévenu Youssef al-Otaiba, l’ambassadeur émirati aux États-Unis, dans une tribune publiée par le quotidien israélien Yediot Aharonot.

Cela étant, malgré la question palestinienne et d’autres considérations, des liens officieux existaient déjà entre Israël et les Émirats arabes unis, notamment dans le domaine sécuritaire. Mais il fallait les taire. Ainsi, par exemple, en 2010, l’évocation par le quotidien « Le Figaro » de l’achat d’équipements de sécurité israéliens par Abu Dhabi avait été très mal prise par les autorités émiraties, qui y virent une « indélicatesse », alors qu’elles négociaient l’achat d’avions Rafale avec Paris.

Mais cette coopération s’est poursuivie par la suite. Ainsi, le New York Times a même récemment révélé que les Émirats arabes unis avaient eu recours au logiciel espion Pegasus, développé par… l’entreprise israélienne NSO Group. Et elle s’est même traduite, timidement, il est vrai, sur le plan militaire, avec la participation des forces israéliennes et émiraties à des manoeuvres, comme lors de l’édition 2018 de l’exercice aérien Iniohos, en Grèce.

Aussi, l’annonce de la normalisation prochaine des relations entre Israël et les Émirats arabes unis, dans le cadre d’un accord négocié sous l’égide des États-unis, n’est donc pas une grosse surprise et constitue un succès pour M. Trump, qui s’était fixé un tel objectif dans le cadre de sa stratégie visant à contenir l’Iran. Mais pour arriver à un tel résultat, les deux parties ont dû faire des concessions.

« Lors d’un appel entre le président Trump et le Premier ministre Netanyahu, un accord a été trouvé pour mettre fin à toute annexion supplémentaire », a ainsi fait savoir cheikh Mohammed ben Zayed Al-Nahyane, via Twitter, en évoquant les projets israéliens en Cisjordanie [territoire de l’Autorité palestinienne, ndlr]. Et pour le ministre émirati des Affaires érangères, Anwar Gargash, il s’agit d’une « initiative courageuse […] pour préserver les chances d’une solution à deux États [israélien et palestinien, ndlr] », défendue par la Ligue arabe.

Cependant, s’agissant de la Cisjordanie, M. Netanyahu a mis un bémol. « J’ai apporté la paix, je réaliserai l’annexion », a-t-il en effet assuré, lors d’une allocution télévisée. Sans doute faut-il replacer de tels propos dans le contexte politique israélien.

« J’ai eu une discussion trilatérale avec le président américain Trump et le cheikh Ben Zayed et nous avons convenu d’un accord de paix complet avec des échanges d’ambassadeurs et des échanges commerciaux y compris des vols directs entre Abou Dhabi et Tel-Aviv », a par aillerus expliqué le Premier ministre israélien. « Les Émirats vont investir des sommes importantes en Israël […] Il s’agit d’une ouverture pour la paix dans la région », a-t-il continué.

« En 1979, [Menahem] Begin a signé la paix avec l’Egypte, en 1994 [Yitzhak] Rabin a signé avec la Jordanie et j’ai le mérite de signer en 2020 le troisième accord de paix avec un pays arabe. C’est un véritable accord de paix, pas un slogan », a encore fait valoir M. Netanyahu.

Quoi qu’il en soit, cette avancée diplomatique prend cependant à revers l’initiative de paix arabe [appelée « plan Abdallah », parce que proposée en 2002 par roi Abdallah ben Abdelaziz Al Saoud, ndlr]. Cette dernière prévoyait notamment une normalisation des relations des pays arabes avec Israël en échange d’un retrait complet des territoires conquis par Tsahal durant la Guerre des Six-Jours [y compris du plateau du Golan] ainsi que la création d’un État palestinien sur les territoires de Cisjordanie et de la bande de Gaza, avec Jérusalem-Est pour capitale.

D’ailleurs, l’Autorité palestinienne a dénoncé cet accord. « Les dirigeants palestiniens rejettent ce que les Émirats arabes unis ont fait. Il s’agit d’une trahison de Jérusalem et de la cause palestinienne », a-t-elle fait savoir, appelant à une « réunion d’urgence » de la Ligue arabe. Le Hamas est sur la même ligne. La formation islamiste, proche des Frères musulmans, a affirmé que cet accord « ne sert pas la cause palestinienne, mais est considéré comme une continuation du déni des droits du peuple palestinien. »

Quant à l’Iran, il a qualifié cet accord entre Israël et les Émirats de « stupidité stratégique » qui « renforcera sans aucun doute l’axe de résistance dans la région ». Et le ministère iranien des Affaires étangères d’estimer que « le peuple opprimé de Palestine et toutes les nations libres du monde ne pardonneront jamais la normalisation des relations avec l’occupant et le régime criminel d’Israël et la complicité des crimes du régime. »

Un autre pays peut se sentir concerné par la normalisation des relations diplomatiques entre Israël et les Émirats arabes unis : la Turquie, qui n’entretient pas les meilleures relations du monde avec ces derniers. D’ailleurs, Ankara, qui soutient la cause palestinienne [et celle du Hamas, proximité avec les Frères musulmans oblige] et Abu Dhabi s’affrontent indirectement en Libye…

« Les Émirats arabes unis s’efforcent de présenter cela comme une sorte de sacrifice pour la Palestine, alors qu’ils trahissent la cause palestinienne pour servir leurs petits intérêts », a en effet réagi le ministère turc des Affaires étrangères. « L’Histoire et la conscience des peuples de la région n’oublieront pas cette hypocrisie et ne la pardonneront jamais », a-t-il ajouté.

Le ton est radicalement différent en Égypte, premier pays arabe à avoir normalisé ses relations avec Israël et adversaire de la Turquie [à cause des Frères musulmans… et de l’implication militaire turque en Libye, ndlr]. « J’ai suivi avec attention le communiqué tripartite des États-Unis, de l’État frère des Émirats arabes unis et d’Israël sur l’arrêt de l’annexion des territoires palestiniens par Israël », a affirmé le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, dans un message saluant l’accord. Ce dernier est « une étape vers la réalisation de la paix au Moyen-Orient », a-t-il dit.

Par ailleurs, il reste à voir quelles seront les conséquences de cet accord dans le domaine des ventes américaines d’équipements militaires aux Émirats arabes unis. Actuellement, elles sont régies par le « Qualitative Military Edge » [QME], qui consiste à ne pas remettre en cause la supériorité militaire israélienne au Moyen-Orient. Ce qui explique pourquoi Washington a jusqu’à présent refusé de vendre des avions F-35 à Abu Dhabi. Cela va-t-il donc changer?

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]