La Turquie entend demander des comptes aux Émirats arabes unis sur la Libye et la Syrie
Le ton monte entre la Turquie et les Émirats arabes unis… Il faut dire que ces deux pays ont de nombreux contentieux à régler. Ainsi, la première a pris fait et cause pour la Qatar dans la brouille qui l’oppose aux seconds, et plus généralement aux autres monarchies sunnites du golfe arabo-persique. La question des Frères musulmans oppose également les deux pays : soutenus à Ankara, ils sont indésirables à Abu Dhabi.
Autre différent : la Somalie, où la Turquie cherche à y accroître son influence pendant que les Émirats arabes unis jouent la carte des gouvernements autonomes des provinces somaliennes [comme le Somaliland] face à l’État central.
En outre, les deux pays s’opposent en Syrie et en Libye. Ainsi, après six ans de rupture de leurs relations avec le régime syrien, les Émirats arabes unis ont rouvert leur ambassade à Damas en décembre 2018. Puis, en mars dernier, le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammad ben Zayed al-Nahyane, s’est entretenu au téléphone avec le président Bachar el-Assad. Une première depuis 2011.
« J’ai discuté avec le président syrien […] des derniers développements liés à la covid-19. Je l’ai assuré du soutien des Émirats arabes unis et de la volonté d’aider le peuple syrien », a raconté le prince héritier, avant d’affirmer qu’il avait aussi assuré le président Assad de « l’appui » de son pays « au peuple syrien en ces circonstances exceptionnelles ».
Ce rapprochement, encouragé par la Russie, s’est produit alors que les forces turques et les groupes rebelles syriens pro-Ankara, venaient d’affronter les troupes de Damas dans la région d’Idleb.
En Libye, les Émirats arabes unis, avec l’Égypte et la Russie, ont pris fait et cause pour le gouvernement de Tobrouk, issu du Parlement élu en juin 2014 qui avait été chassé de la capitale libyenne par des milices proches des Frères musulmans, ainsi que pour l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Khalifa Haftar. Or, la Turquie a pris le parti du Gouvernement d’unité nationale [GNA], installé à Tripoli sous l’égide des Nations unies.
L’appui militaire apporté par la Turquie aux forces pro-GNA, via des livraisons d’armes et l’envoi de mercenaires, a permis à ces dernières de renverser le rapport de forces sur le terrain, en infligeant une série de revers à l’ANL, qui était encore récemment aux portes de Tripoli.
Désormais, la ville de Syrte, verrou du croissant pétrolier libyen, est le prochain objectif du GNA et de la Turquie. Ce qui se traduit par un nouvel afflux de mercenaires, dont le nombre aux côtés des forces pro-GNA serait actuellement compris entre 12.000 et 15.000.
« Le pont aérien transportant armes et mercenaires d’Ankara à Tripoli est incessant. Le plus souvent, ce sont des avions civils qui sont utilisés en vue de la bataille de Syrte. Mercredi 29 juillet, pour la première fois, ces avions ont atterri sur la base militaire d’Al Witya, non loin de la Tunisie et de l’Algérie, alors qu’habituellement, ces mercenaires atterrissent à Tripoli ou à Misrata », a ainsi relevé RFI.
Dans le même temps, les mercenaires de la société militaire privée russe Wagner ont installé des systèmes de défense aérienne dans les environs de Syrte, qu’ils auraient minés. Et la force aérienne émiratie est soupçonnée d’avoir conduit un raid contre la base aérienne stratégique d’al-Watiya, utilisée par la Turquie, près de Tripoli. Enfin, l’Égypte est prête à s’impliquer militairement en Libye afin d’éviter d’avoir des forces pro-turques à ses frontières.
Le 17 juillet, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’en est d’ailleurs pris aux autorités égyptiennes. « Les mesures que prend l’Égypte ici, en particulier le fait de prendre parti pour le putschiste Haftar, sont la preuve d’une démarche illégale », a-t-il dénoncé.
Mais, ce 1er août, et alors qu’une offensive des forces pro-GNA vers Syrte se précise de jour en jour, Ankara a décoché de nouvelles flèches en direction des Émirats arabes unis.
« Abou Dhabi est en train de faire certaines choses en Libye et en Syrie. Tout cela est en train d’être consigné. Les comptes seront faits en temps et en heure », a déclaré Hulusi Akar, le ministre turc de la Défense, dans un entretien accordé à Al Jazeera. « Il faut demander à Abou Dhabi d’où viennent cette hostilité, ces mauvaises intentions, cette jalousie », a-t-il ajouté.
Reste à voir comment Ankara réglera ses comptes avec les Émirats…
« Il faut que ces pays cessent de soutenir [Haftar] pour que la stabilité revienne et qu’un cessez-le-feu puisse être négocié. Il faut qu’ils poussent le putschiste Haftar à renoncer à certains de ses objectifs », a enchaîné M. Akar, en évoquant l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et la Russie.
De son côté, le ministre émirati des Affaires étrangères, Anwar Gargash, a renvoyé la balle à Ankara. « La Sublime porte [symbole de l’Empire ottoman, ndlr] et les illusions colonialistes n’ont de place que dans les archives de l’histoire […] et les relations entre États ne se gèrent pas par les menaces », a-t-il fait valoir, appelant la Turquie à cesser de « s’immiscer » dans les affaires des pays arabes.
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