L’Indonésie pourrait reprendre les Eurofighter Typhoon autrichiens

Parce qu’ils sont arrivés au bout de leur potentiel, avec seulement quelques dizaines d’heures de vol devant eux, les 20 derniers avions d’entraînement Saab 105E que la force aérienne autrichienne utilise pour des missions de surveillance aérienne seront retirés du service d’ici la fin de cette année… sans être remplacés pour le moment.

En effet, déjà vivement critiquée par l’opposition pour ses projets de réforme des forces armées, la ministre autrichienne de la Défense, Klaudia Tanner a expliqué qu’aucune décision ne serait prise sur le remplacement des Saab 105E tant que le volet judiciaire relatif à l’achat de 15 avions de combat Eurofighter Typhoon auprès d’Airbus, en 2003, ne sera pas terminé.

Pour rappel, ce contrat donne lieu à de vives controverses en Autriche, avec des soupçons de corruption. En février 2017, estimant avoir été « délibérément trompé tant sur le vrai prix que sur les vraies capacités » des Eurofighter, le ministère autrichien de la Défense porta plainte contre Airbus, en espérant un dédommagement conséquent.

Pour le moment, et même s’il y a des détails troublants dans cette affaire, l’industriel a gagné une première manche en avril, la cour criminelle de Vienne n’ayant « pas trouvé de fondement à poursuites dans les accusations émises en février 2017 par le ministère autrichien de la Défense ». Le gouvernement a fait appel.

« La République d’Autriche continuera à rechercher tous les moyens légaux pour se retirer du contrat Eurofighter et être indemnisée », a fait valoir Mme Tanner, le 6 juillet. « En attendant la décision finale du tribunal, aucune décision ne sera prise concernant la surveillance aérienne », a-t-elle ajouté.

Cela étant, la force aérienne autrichienne n’a pas beaucoup de marges de manoeuvre. En juin, le quotidien Der Standard a avancé trois options pour son avenir. La première consisterait à acquérir des avions M-346 ou L-39N pour remplacer les Saab 105E et les Eurofighter, sachant que ces derniers, dont l’heure de vol coûterait 60.000 euros, selon le journal, devront en outre être modernisés. Ce serait la solution la plus économique… Mais pas forcément la mieux adaptée aux besoins opérationnels.

La seconde option serait le statu quo : les Saab 105E ne seraient pas remplacés et la force aérienne autrichienne conserverait ses 15 Eurofighter Typhoon [tranche 1]. Mais cela supposerait que la formation des pilotes se fasse à l’étranger [notamment en Allemagne], ce qui n’est pas gratuit… Politiquement, et après les propos tenus par les ministres de la Défense successifs, une telle solution semble improbable. Mais que le disait Napoléon Ier, « en politique, une absurdité n’est pas un obstacle »…

Enfin, la dernière possibilité serait de revendre les Eurofighter pour environ 600 millions d’euros afin de pouvoir acquérir ensuite un autre type appareil, comme le JAS-39 Gripen de Saab. Et remplacer éventuellement les Saab 105E. Mais pour cela, Vienne droit trouver un repreneur et obtenir un feu vert du consortium Eurofighter [qui réunit BAE Systems, Airbus et Leonardo].

Sur le premier point, l’Autriche aurait peut-être trouvé un repreneur. Ainsi, le quotidien Die Presse a fait état d’une lettre datée du 10 juillet et envoyée par le ministre indonésien de la Défense, Prabowo Subianto, à son homologue autrichienne.

« Pour atteindre mon objectif de modernisation de la force aérienne de l’air indonésienne, je voudrais donc proposer d’entrer en négociation officielle avec vous […] pour l’achat des 15 Eurofighter », a écrit M. Prabowo dans ce courrier. « Comme j’ai toujours été impressionné par les technologies et le savoir-faire européens, je vous demanderais de bien vouloir soutenir [cette] proposition, qui, espérons-le, entraînera un bénéfice mutuel pour nos deux pays », a-t-il ajouté.

Le ministère autrichien de la Défense a confirmé avoir reçu la lettre le 18 juillet et dit examiner son authenticité.

« Les surprises dans les marchés publics indonésiens de défense semblent désormais constantes », a commenté le quotidien Djakarta Post, rappelant le feu vert donné par l’administration américaine à l’aquisition de 8 appareils de type V-22 Osprey aux forces indonésiennes.

Un projet d’achat qui a en effet surpris presque tout le monde en Indonésie, y compris Donny Ermawan Taufanto, le secrétaire général du ministère indonésien de la Défense, qui l’a démenti. Or, la Defense Cooperation Security Agency [DSCA], chargée d’autoriser ou non les exportations d’équipements militaires américains, ne peut rendre un avis sans avoir été préalablement sollicitée par un acquéreur…

Cela étant, en plus de vérifier l’authenticité de la lettre qu’il a reçue, le ministère autrichien de la Défense examine également les implications juridiques d’une éventuelle revente de ses avions de combat à l’Indonésie.

En effet, l’Autriche a pris l’engagement contractuel de « ne pas rendre les documents techniques et les documents accessibles à des tiers sans l’accord préalable » du consortium Eurofighter. Et cela vaut aussi pour l’accès au système d’armes des avions Eurofighter. En clair, la seule solution juridique possible serait que ces derniers soient repris par Airbus, qui les a vendus.

Reste qu’une entente est possible pour deux raisons. D’une part, Airbus pourrait obtenir que soit mis un terme à la procédure judicaire dont il fait l’objet en Autriche.

Et, d’autre part, rependre les Eurofighter autrichiens pour les revendre ensuite à l’Indonésie, après les avoir modernisés, permettrait à Eurofighter de prendre pied en Asie, un marché qu’il convoite de longue date, le Typhoon ayant été proposé à Djakarta [de même que le Rafale] avant d’être écarté au profit d’un achat de 11 avions Su-35E auprès de la Russie, via un mécanisme de financement reposant sur des paiements en nature [livraison de thé, huile de palme, caoutchouc]. Pour le moment, et craignant sans doute des sanctions américaines en vertu de la loi dite CAATSA, l’Indonésie n’a pas encore concrétisé ce contrat.

Cependant, il est compliqué d’avoir une idée précise des projets indonésiens, lesquels sont susceptibles de pâtir des difficultés économiques liées à la pandémie de Covid-19. En janvier, il avait été rapporté que Djakarta s’intéressait au Rafale [un achat de 48 exemplaires fut évoqué], aux sous-marins Scorpène ainsi qu’aux corvettes Gowind. Depuis, c’est le silence radio.

Photo : Ministère autrichien de la Défense

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