Selon le commandant de Barkhane, l’État islamique au grand Sahara recrute des enfants soldats
Récemment interrogé par le quotidien La Croix sur les « guerres de demain », le général François Lecointre, chef d’état-major des armées [CEMA] avait décrit des « combats dans tous les espaces », dans le cadre de « guerre hybrides, où il sera difficile d’établir quand une ligne rouge a été franchie. »
Et d’ajouter : « Les prémices montrent des guerres complexes à anticiper et à conduire parce qu’elles mêlent l’action militaire et l’action économique, des actions revendiquées et d’autres clandestines. Elles contournent les lois de la guerre. C’est déjà le cas dans les combats asymétriques, comme contre Daesh qui ne respecte pas les règles du droit de la guerre. Cela pourrait être vrai demain, y compris dans des conflits interétatiques. »
Le fait que des organisations terroristes ne respectent pas les règles du droit de la guerre [et le droit international] n’est pas nouveau. Au Levant, l’État islamique [EI ou Daesh] a ainsi eu recours à des enfants soldats [les « lionceaux du califat« ].
Même chose pour les groupes sahéliens affiliés à al-Qaîda, comme Ansar Dine, le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest [MUJAO], al-Qaida au Maghreb islamique [AQMI] qui, après avoir pris le contrôle du Nord-Mali en 2012, recrutèrent des mineurs, parfois âgés de mois de dix ans, pour surveiller des points de contrôle ou faire des commissions. Voire plus, certains s’étant vu confier des armes.
« Les recruteurs ont profité de la pauvreté et attiré beaucoup d’enfants en leur promettant de l’argent. De nombreux enfants seraient originaires de petits villages en périphérie des principales villes du nord du Mali. D’autres ont rejoint les rangs des rebelles poussés par leurs familles », avait ainsi expliqué Corinne Dufka, alors directrice de recherche en Afrique de l’Ouest pour Human Rights Watch [HRW], citée dans un document des Nations unies. « Un nombre important d’enfants semble provenir de communautés qui prônent un islam radical », avait-elle précisé.
Aussi, il est déjà arrivé que la force française Barkhane soit confrontée à des mineurs enrôlés par des groupes terroristes. Cela a ainsi été le cas à la fin 2016, quand, lors d’une frappe contre un réseau de guetteurs qui renseignaient un groupe armé s’apprêtant à tendre une embuscade, il s’est avéré qu’un enfant de 10 ans avait été tué.
Évidemment, quand cela arrive, malheureusement, il est compliqué à une force armée de s’expliquer, face à l’émotion médiatique qu’un tel incident peut susciter. Ce que les groupes terroristes ne manquent pas d’exploiter.
Or, l’État islamique au grand Sahara [EIGS] s’inscrit peut-être dans cette logique. En effet, ce 9 juillet, et alors qu’il s’apprête à passer le relai au général Marc Conruyt d’ici quelques semaines, le général Pascal Facon, le commandant de Barkhane, a indiqué que la branche sahélienne de Daesh a recours aux enfants soldats.
« L’ennemi s’est durci, il n’hésite plus à recourir à des enfants soldats. Ces derniers sont endoctrinés et entraînés au maniement des armes », a en effet déclaré le général Facon, lors d’une vidéoconférence avec la presse dans le contenu a été rapporté par l’AFP. Et « cette exploitation abjecte nous met en difficulté dans le cadre de nos opérations », a-t-il ajouté.
« La robustesse de nos procédures d’engagement nous permet de prévenir quasi systématiquement les dommages collatéraux, pour autant il arrive que l’on constate lors des opérations de neutralisation la présence de mineurs », a ensuite expliqué le général Facon, sans préciser le nombre de cas où cela est arrivé.
« Ces situations demeurent extrêmement rares mais il convient d’en avoir une pleine conscience. C’est une réalité qu’il faut maintenant prendre en compte et qui est liée à l’attrition des GAT [groupes armés terroristes] et au fait qu’ils éprouvent des difficultés à recruter », a estimé le général Facon, pour qui l’EIGS est désormais affaibli, après la succession d’opérations menés dans le Liptako-Gourma après le sommet de Pau du 13 janvier.
Cela étant, lors d’une récente audition parlementaire, le général Lecointre n’avait pas évoqué le recrutement d’enfants soldats pour expliquer la « capacité de régénération forte » des GAT au Sahel. Seulement le recrutement de combattants de « plus en plus jeune »
« Ils sont chez eux. Ils instrumentalisent des tensions interethniques. Ils recrutent des combattants de plus en plus jeunes. Ils bénéficient de la complicité d’une partie importante de la population, au sein de laquelle ils se fondent. Comme j’ai coutume de le dire, nous combattons un ennemi qui ne respecte aucun droit de la guerre et qui est très intriqué dans la population », avait affirmé le CEMA. « C’est aussi une guerre de conviction auprès de la population : il faut absolument éviter que la population peule ne bascule définitivement dans les rangs ou en appui de l’EIGS et que ce conflit ne dégénère en conflit interethnique. C’est l’une de nos craintes », avait-il aussi insisté.
Quant au sort des enfants soldats, le général Facon a précisé que, en cas de capture, ils sont « envoyés dans un centre qui est assez ouvert. » Mais, a-t-il continué, « on a a lancé une réflexion avec le CICR [Comité international de la Croix-Rouge] et les autorités maliennes sur le fait de savoir s’il ne devrait pas exister des centres fermés permettant d’offrir à ces enfants et jeunes une perspective un peu plus intéressante en terme d’éducation. »
Photo : EMA