L’armée de Terre réfléchit aux rôles que pourraient tenir ses réservistes dans un conflit de haute intensité

En 1989, année de la chute du Mur de Berlin, et outre les forces de souveraineté et/ou prépositionnées, l’armée de Terre reposait sur trois piliers : la 1ère Armée, composée de trois corps d’armées, la Force d’Action Rapide [FAR] et la Défense opérationnelle du territoire [DOT]. Une telle organisation était possible grâce à la conscription.

Selon le code de la Défense, la DOT « concourt au maintien de la liberté et de la continuité d’action du gouvernement, ainsi qu’à la sauvegarde des organes essentiels à la défense de la nation. » Aussi, les « autorités militaires auxquelles incombe son exécution ont pour mission de « participer à la protection des installations militaires et, en priorité, de celles de la force nucléaire stratégique », « d’assurer au sol la couverture générale du territoire national et de s’opposer aux actions ennemies à l’intérieur de ce territoire » [en « présence d’une menace extérieure reconnue par le conseil de défense ou d’une agression] et, « en cas d’invasion, de mener les opérations de résistance militaire qui, avec les autres formes de lutte, marquent la volonté nationale de refuser la loi de l’ennemi et de l’éliminer. »

Or, depuis la fin de la Guerre Froide, ce concept de Défense opérationnelle du territoire est tombé en désuétude, même si la nécessité de protéger le territoire a systèmatiquement été soulignée dans les Livres blancs sur la Défense publiées au cours de ces dernières années.

« La population [française] ne comprendrait guère que les armées, engagées régulièrement depuis la fin de la guerre froide dans des opérations internationales au nom de la sécurité extérieure et des responsabilités de la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, ne s’investissent pas dans sa mission de protection, lorsque le danger, à la fois extérieur et soutenu ou
développé à l’intérieur, la menace directement », avançait un rapport au Parlement publié en 2016 par le ministère des Armées sur les conditions d’emploi des armées sur le territoire national.

Au regard de l’évolution du contexte international, avec une affirmation de plus en plus marquée de politiques de puissance de la part de certains États, une extension des champs de conflictualité et un retour de la force militaire comme mode de règlement des différends, l’hypothèse d’un conflit de haute intensité n’est plus une vue de l’esprit.

« Je me dois de vous sensibiliser au retour du fait guerrier. […] C’est la conséquence de la dégration de l’environnement international et de l’ensauvagement du monde, qui s’expliquent eux-mêmes par plusieurs facteurs d’instabilité », avait ainsi récemment expliqué le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA], lors d’une audition parlementaire.

D’où la « Vision stratégique » qu’a présentée, en juin, le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], avec l’objectif de se préparer à un conflit de haute intensité. Pour cela, 12 chantiers ont été définis, dont un vise à donner à la Force terrestre opérationnelle [FOT] plus de « masse ». Et cela passe par une plus grande implication des réservistes opérationnels, faute de pouvoir s’appuyer sur la conscription.

En effet, il y est question d’une réserve opérationnelle « massive et engagée », afin que l’armée de Terre puisse disposer d’une « masse de manœuvre plus nombreuse, plus autonome, mieux territorialisée. »

Dans cette vision stratégique, il est précisé que les réservistes opérationnels de l’armée de Terre seront davantage sollicités pour « la contribution terrestre aux missions de protection
du territoire national. » Mais, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le général Burkhard est allé plus loin en remettant au goût du jour le concept de « Défense opérationnelle du territoire ».

« Pour agir en haute intensité, l’armée de Terre doit s’entraîner à un niveau compris entre la brigade et la division. En 2023 ou 2024, nous organiserons un exercice de niveau divisionnaire. Faut-il plus de masse? Oui il en faut, car dans un conflit de haute intensité, nous avons besoin d’une masse plus importante », a commencé par faire valoir le CEMAT. Et d’ajouter : « Celle-ci pourrait être constituée par la réserve : réserve opérationnelle de niveau 1 [RO1] et réserve opérationnelle de niveau 2 [RO2]. »

Puis, a rappelé le général Burkhard, la « réserve joue un rôle important dans le fonctionnement de l’armée de Terre, par le biais des compléments individuels, qui viennent renforcer les centres de commandement et les états-majors. Les unités de réserve participent à des missions, dans le cadre de l’opération Sentinelle mais également pour la protection de nos installations. »

Plaidant pour simplifier la fonctionnement de la réserve [« à l’heure d’Internet, il nous faut des moyens de gestion correspondant au mode de vie actuel, a-t-il dit], le CEMAT entend agir par palier, faute de moyens suffisants.

« L’objectif à court terme est la remontée en puissance de l’armée d’active et c’est là-dessus que je fais porter mon effort. Dans cet intervalle, le meilleur appui que puisse m’apporter la réserve, c’est de continuer à fonctionner durant deux à trois ans en remplissant avec l’armée d’active les mêmes missions qu’aujourd’hui », a dit le général Burkhard. Il s’agit ainsi de se donner du temps pour « réfléchir au rôle » que les réservistes seront amenés « à jouer dans un conflit de haute intensité », a-t-il précisé.

Là, plusieurs options peuvent être imaginées pour cette réserve opérationnelle, c’est à dire, a développé le CEMAT, « soit la maintenir dans des missions de sécurisation du territoire, soit lui demander de faire quelque chose du type de la défense opérationnelle du territoire – ce qui nécessiterait de la former à d’autres missions, comme se battre contre un ennemi infiltré, des parachutistes, par exemple, ou défendre des points sensibles – soit être intégrée pour partie dans la relève des unités engagées dans un combat de haute intensité. »

Ce qui, pour le combat de haute intensité, supposerait probablement de former des « batteries d’artillerie, des escadrons de transport logistiques, des escadrons de reconnaissance et d’investigation armés par des réservistes ». En tout cas, le général Burkhard a posé la question. « Dans le nord-est syrien, l’unité américaine venue protéger les puits de pétrole et les Kurdes appartenait à la garde nationale : nous n’en sommes pas encore là, mais cela mérite qu’on y réfléchisse », a-t-il rappelé aux députés.

Cependant, on n’en pas encore là. « Si des unités de réservistes devaient être engagées en opération en haute intensité, il faudrait les former et les équiper comme des soldats d’active, ce qui devrait être pris en compte dans la LPM suivante. Pour l’heure, la LPM actuelle ne le prévoit pas. Il faut prendre le temps de la réflexion », a conclu le général Burkhard.

Photo : armée de Terre

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