La fermeté de Paris face à Ankara relance une possible nouvelle commande égyptienne d’avions Rafale
En janvier 2019, il avait été rapporté que l’Égypte était sur le point de signer une commande pour un lot de 12 avions de combat Rafale EM/DM auprès de la France, en plus des 24 déjà livrés au forces aériennes égyptiennes. Et le déplacement au Caire du président Macron devait être l’occasion de confirmer cette vente potentielle.
Or, il n’en fut rien, la relation « privilégiée » entre les deux pays dans le domaine de la défense s’étant distendue. Et les remarques d’Emmanuel Macron au sujet de la question des droits de l’Homme en Égypte, devant son homologue égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, n’aidèrent pas à recoller les morceaux… et donc à faciliter non seulement la vente de 12 autres Rafale EM/DM mais aussi celle de corvettes Gowind.
Cela étant, quelques mois plus tôt, Le Caire avait entrepris de diversifier ses approvisionnements en matière d’armements, avec la commande, en septembre 2018, de quatre frégates MEKO A200 au groupe allemand ThyssenKrupp Marine Systems [alors que la France avait les cartes en main après la commande d’une FREMM et de trois corvettes Gowind 2500] et d’avions de combat Su-35 Flanker auprès de la Russie.
Mais c’est vers l’Italie que le gouvernement égyptien s’est récemment tourné pour faire de nouvelles acquisitions. En juin, le quotidien La Repubblica a ainsi évoqué des négociations portant sur l’achat quatre FREMM [design italien, différentes de celles de la Marine nationale, ndlr], de 20 patrouilleurs, de 24 avions d’entraînement M-346 et de… 24 Eurofighter Typhoon.
Seulement, on achète des équipements militaires comme une voiture. Au-delà des capacités attendues, un contrat d’armement a toujours une dimension politique, voire stratégique. Or, les affinités entre Rome et Le Caire sont loin d’être évidentes.
Au-delà de l’affaire « Regeni », du nom de cet étudiant italien torturé et assassiné au Caire en février 2016, l’Italie et l’Égypte n’ont pas forcément les mêmes intérêts. Notamment en Libye, où Rome, en raison de l’implication du groupe ENI dans la production pétrolière libyenne; est favorable au gouvernement d’union nationale [GNA] de Tripoli, lui-même soutenu par la Turquie. Or, cette dernière a des vues sur les gisements gaziers en Méditerranée orientale, ce qui préoccupe le gouvernement égyptien.
Et cela d’autant plus que les relations entre Le Caire et Ankara sont à couteaux tirés, avec, en toile de fond, le soutien turc aux Frères musulmans. L’implication de la Turquie en Libye constitue une autre source de tension, une présence turque dans l’est de ce pays étant une ligne rouge pour l’Égypte.
Or, la proximité de Rome et d’Ankara sur le dossier libyen ne peut que déplaire au Caire.
« Ensemble avec l’Italie, nous allons poursuivre nos efforts pour une paix durable et un processus politique fructueux en Libye. […] Nous sommes conscients du rôle essentiel que joue l’Italie dans ce dossier et nous la remercions pour cela », a en effet déclaré Mevlut Cavusoglu, le ministre turc des Affaires étrangères, lors d’une conférence de presse donnée en présence de Luigi Di Maio, son homologue italien, le 19 juin dernier.
Dans le même temps, la France se montre inflexible à l’endroit de la Turquie, à qui elle reproche de violer l’embargo sur les armes en Libye [voire de « syrianiser » le conflit libyen], de faire du chantage avec les migrants et d’effectuer des forages dans la zone économique exclusive la République de Chypre [membre de l’UE, ndlr]. Et l’Égypte n’y est pas insensible.
Selon La Tribune, les « relations entre la France et l’Égypte se réchauffent grâce à la Turquie. Les industriels de l’armement tricolores profitent de ce réchauffement pour reprendre les discussions avec le Caire. » Et de préciser : « La posture ferme de Paris face à Ankara et la bienveillance de Rome vis-à-vis de Recep Tayyip Erdogan en Libye ont été un déclic au Caire, qui a eu pourtant beaucoup de mal à encaisser la leçon sur les droits de l’Homme d’Emmanuel Macron en janvier 2019. »
De quoi revigorer la perspective d’une commande de 12 [voire 24] Rafale EM/DM par l’Égypte… mais aussi celle d’une levée de l’option concernant deux corvettes Gowind. En outre, Le Caire envisagerait également d’améliorer la protection des deux Bâtiments de projection et de commandement [BPC] « Anouar el Sadate » et « Gamal Abdel Nasser », acquis en 2015 auprès de la France.
Quoi qu’il en soit, la presse italienne n’a plus évoqué une éventuelle commande égyptienne d’avions Eurofighter depuis près d’un mois. En revanche, l’achat, par l’Égypte de deux FREMM intialement destinées à la Marina Militare, a été abondemment commenté… Et il en ressort que la classe politique transalpine voit d’un mauvais oeil cette vente.
« La vente des deux frégates militaires de la marine italienne à l’Égypte comporte de grands risques. Non seulement les efforts internationaux devraient aller vers la désescalade militaire dans la région, mais l’Égypte n’est pas notre alliée : en Méditerranée, nous avons des intérêts différents, les Égyptiens faisant partie d’un axe régional qui soutient le gouvernement de Haftar en Libye, tandis que l’Italie appuie celui [Fayez el-] Serraj internationalement reconnu [le GNA, ndlr]. Ajoutez à cela le manque de collaboration du côté égyptien dans l’affaire de Giulio Regeni et dans celle de Patrick Zaky [un étudiant à l’université de Bologne, arrêté au Caire pour atteinte à la sécurité nationale, ndlr], ce qui témoigne d’un manque d’attention aux demandes italiennes », a résumé Lia Quartapelle du Parti démocrate, qui partage le pouvoir avec le Mouvement Cinq Étoiles [M5S].
Photo : Dassault Aviation