Les deux porte-avions de la Royal Navy risquent d’être des « canards assis » pendant quelques années

Ayant été soumise à de fortes contraintes budgétaires, avec, pour conséquence, une réduction sensible de son format et de ses capacités, la British Army ne voit pas d’un très bon oeil le programme visant à doter la Royal Navy de deux nouveaux porte-avions, à savoir les HMS Queen Elizabeth et HMS Prince of Wales, dont la construction aura coûté plus de 6 milliards de livres sterling.

Une somme qui vient s’ajouter à d’autres investissements lourds, comme ceux consentis pour le renouvellement des sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] de type Trafalgar par ceux de la classe Astute, le lancement du programme de sous-marin nucléaire lanceur d’engins [SNLE] Dreadnought et l’achat de nouvelles frégates de Type 26 et de Type 31.

Aussi, au regard des marges de manoeuvre budgétaire qu’il faudra trouver pour les armer et les mettre en oeuvre, les deux porte-avions de la classe « Queen Elizabeth », avec leurs 65.000 tonnes de déplacement, sont vus comme étant des « éléphants blancs » par la British Army. C’est à dire qu’elle estime qu’ils seront  » plus coûteux que bénéfiques », tout en siphonnant une partie des ressources dont elle a besoin.

Cela étant, ces deux porte-avions risquent surtout d’être des « canards assis » [« sitting ducks »], une expression utilisée outre-Manche pour parler de quelque chose qu’il est très facile pour un ennemi d’attaquer. C’est, en effet, ce que suggère le rapport [.pdf] que vient de publier le National Audit Office [NAO, l’équivalent britannique de la Cour des comptes].

Normalement, la Royal Navy devrait prononcer la capacité opérationnelle initiale [IOC] du porte-avions HMS Queen Elizabeth d’ici, au mieux, la fin de cette année. Ce qui pourrait donner lieu à un premier déploiement en 2021. Et la pleine capacité opérationnelle, avec deux escadrons de 12 avions F-35B embarqués, est attendue en 2023. Même chose avec le HMS Prince of Wales, avec un décalage de plusieurs mois. Mais entre entre la théorie et la pratique, il y a un fossé que la marine britannique aura du mal à combler.

Ainsi, l’un des points soulevés par le NAO concerne le nombre d’avions F-35B qui pourront être embarqués à bord des deux porte-avions. L’intention du ministère britannique de la Défense [MoD] est de se procurer un total de 138 appareils que se partageront la Royal Air Force et la Fleet Air Arm [avion de la Royal Navy, ndlr]. Or, à ce jour, seulement 48 exemplaires ont été commandés et on ignore quand le reste le sera. Ce qui, au regard de la disponibilité et des impératifs de formation et d’entraînement, est insuffisant pour le moment.

« À cause de pressions financières plus importantes, il [le MoD] recevra 7 de ces 48 avions en 2025, soit un an plus tard que prévu. Depuis notre publication en 2017, le coût approuvé du projet Lightning II est passé de 9,1 milliards de livres sterling à 10,5 milliards de livres sterling [+15%], en raison de dépenses supplémentaires pour les mises à niveau, l’intégration des systèmes britanniques et les coûts de maintien en condition opérationnelle », écrit le NAO, qui craint par ailleurs un « risque continu d’augmentation des coûts en raison des fluctuations du taux de change ». Aussi, prévient-il, le MoD « prévoit de réévaluer le nombre et le type de Lightning II dont il a besoin […] mais sa capacité à utiliser un groupe aéronaval sera limitée s’il a moins d’avions que prévu. »

En outre, le projet de modifier l’un ou l’autre des deux porte-avions pour mener des opérations amphibies [ce qui avait servi à justifier le retrait du navire HMS Ocean, afin de réaliser des économies] a été abandonné, en catimini, en mars dernier.

Un autre souci pour la Royal Navy est le retard de 18 mois pris dans la mise au point du radar de guet aérien Crowsnest, lequel sera utilisé par des hélicoptères Merlin. Or, cette capacité est primordiale pour un porte-avions. Sur ce point, le NAO fait porter le chapeau au MoD car il « n’a pas supervisé efficacement son contrat avec Lockheed Martin et, malgré des problèmes antérieurs sur ce projet, ni l’un ni l’autre n’était au courant du retard pris par le sous-traitant [Thales, qui fournit le radar Searchwater et le système de mission Cerberus ndlr] jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour respecter la date de livraison prévue. » Quoi qu’il en soit, ce système ne sera pas disponible avant 2023.

Un autre sujet de préoccupation porte sur la composition du groupe aéronaval qui escortera l’un ou l’autre de ces deux porte-avions. Et le manque de navires auxiliaires pour ravitailler ces bâtiments est un problème de taille d’autant plus que leur mode de propulsion est conventionnel.

Actuellement, la Royal Fleet Arm dispose du RFA Fort Victoria, lequel a récemment été modifié à cette fin. Il était question d’acquérir trois nouveaux navires du même type d’ici 2026. Seulement, l’appel d’offres a été suspendu l’an passé et on ignore quand il sera relancé. Selon le NAO, le retard accumulé pour ce programme est déjà de trois ans.

« N’avoir qu’un seul navire de soutien, avec des capacités d’emport limitées, ralentit la portée et le rythme auxquels la Royal Navy peut ravitailler un groupe aéronaval. De plus, les options de déploiement seront très limitées pendant une grande partie de 2022, parce que le RFA Fort Victoria subira une période d’entretien programmé », s’inquiète le NAO.

Enfin, le futur groupe aéronaval de la Royal Navy sera composé d’au moins un destroyer de Type 45 pour en assurer la défense aérienne et d’une frégate anti-sous-marine de Type 23, dont 13 sont actuellement en dotation. Seulement, les premières unités commenceront à quitter la flotte à partir de 2023. Et le « ministère a exclu de les prolonger à nouveau car elles fonctionnent déjà au-delà de leur durée de vie nominale », souligne le NAO.

Or, ces 13 frégates doivent être remplacées par 8 nouvelles, de type 26, à partir de 2027… Et par cinq autres, plus légères, qui, de type 31, seront dépourvues de capacités de lutte anti-sous-marine… contrairement à celles qu’elles sont censées concurrencer, c’est à dire les Frégates de défense et d’intervention [FDI] françaises, qui seront très bien dotées dans ce domaine.

Photo : Royal Navy

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